L’arrestation de Caluire
Ce lundi 21 juin 1943, aux alentours de 15 heures, tout en haut de la montée Castellane qui domine l’île Barbe, sortant de trois tractions avant noires, une dizaine d’hommes de la Gestapo commandés par Klaus Barbie encerclent la maison du Docteur Dugoujon, place Castellane, à Caluire et Cuire, près de Lyon, où se tient une réunion clandestine de la résistance organisée autour de Jean Moulin. L’objet de cette réunion de Caluire, devenue si tristement célèbre, était pour Jean Moulin de rencontrer des responsables de la résistance pour organiser rapidement la relève à la tête de l’Armée Secrète qui vient d’être décapitée par l’arrestation du général Delestraint le 9 juin 1943 à Paris.
De ce rendez-vous fatal de Caluire, on retiendra que Jean Moulin fut en retard de trois quarts d’heure à la « consultation spéciale » du Docteur Dugoujon ; la gestapo, prévenue, en retard de trois quarts d’heure aussi...
Un seul des huit résistants parviendra sans mal à s’échapper : René Hardy. Il y a de grande chance que ce soit lui qui ait vendu la mèche...
Les sept autres, dont Raymond Aubrac [1], sont transférés à la prison Montluc de Lyon. Le 25 juin, usant de méthodes barbares, Klaus Barbie parvient à supposer l’identité de « Max », alias Jean Moulin, qui est transféré à Paris à la fin du mois. Jean Moulin, martyr de la Résistance, l’homme qui ne parlera pas, même sous la torture, meurt, des suites des horribles sévices infligés par les tortionnaires de la Gestapo, vraisemblablement le 8 juillet 1943, en gare de Metz ou de Francfort, lors de son transfert par train à Berlin qui le conduit vers les camps de concentration.
La carrière préfectorale
Jean Moulin est né à Béziers le 20 juin 1899. Mobilisé en 1918, il participe aux derniers mois de la Première Guerre mondiale, puis obtient une licence de droit en 1921. Il entre alors dans l’administration préfectorale, comme chef de cabinet du préfet de la Savoie, en 1922, puis comme sous-préfet d’Albertville, de 1925 à 1930. Il y est à l’époque le plus jeune sous-préfet de France.
Parallèlement, il publie des caricatures et des dessins humoristiques dans la revue « Le Rire » sous le pseudonyme de Romanin. En septembre 1926, il se marie avec Marguerite Cerruti, dont il divorce en 1928.
Il occupe le poste de sous-préfet de Châteaulin en 1930. Pierre Cot, ministre des Affaires étrangères, le nomme chef adjoint de son cabinet en décembre 1932. Sous-préfet de Thonon-les-Bains en 1933, il occupe parallèlement la fonction de chef de cabinet de Pierre Cot au ministère de l’Air. En 1934 il assure les fonctions de secrétaire général de la préfecture de la Somme à Amiens et est de nouveau nommé chef de cabinet au ministère de l’Air, où il aide les Républicains espagnols en leur envoyant des avions et des pilotes.
Il devient le plus jeune préfet de France, dans l’Aveyron, à Rodez, en janvier 1937. Puis il est nommé en 1939 préfet d’Eure-et-Loir à Chartres.
La Résistance
Le 17 juin 1940, les Allemands occupent la ville de Chartres et exigent du préfet Moulin qu’il signe un texte accusant des tirailleurs sénégalais d’avoir commis des viols et des massacres sur les populations civiles, en réalité victimes de bombardements et mitraillages allemands. Jean Moulin refuse de signer ce texte, est violemment frappé par les Allemands et, craignant de flancher, tente de se suicider, pour ne pas avoir à se déshonorer, en se tranchant la gorge avec un débris de verre. Il en a gardé une cicatrice qu’il cache avec une écharpe. Le récit de cet épisode adressé quelques mois plus tard à sa soeur, Laure, a été publié en 1947 par celle-ci sous le titre « Premier combat » (Editions de Minuit, 1947, réédition 1983). Au vu de ses idées, le préfet Moulin est révoqué le 2 novembre 1940 par le gouvernement de Vichy.
Il s’installe alors dans sa maison familiale de Saint-Andiol (Bouches-du-Rhône) et entre dans la Résistance.
Il réussit à partir pour Londres en septembre 1941, en passant par l’Espagne, après s’être procuré lui-même tous les papiers nécessaires, sous le nom de Joseph Jean Mercier. Après avoir refusé de “travailler” avec les Anglais, il rencontre le général de Gaulle, chef des “Forces française libres” qui lui confie la mission de découvrir et de placer sous ses ordres les plusieurs groupements de Résistance existant en zone non occupée. Parachuté à l’aveuglette dans les Alpilles, en Provence, dans la nuit du 31 décembre 1941 au 1er janvier 1942, Jean Moulin va accomplir, en un an et demi, une tâche considérable : il réussit, tout en changeant en permanence de lieu et d’identité, à remplir la mission confiée. Il emploie les pseudonymes de Rex puis de Max.
Il installe alors son quartier général à Lyon, ville qui se prête à la résistance et en devient la capitale. Il a alors 43 ans, n’est pas très grand, d’apparence assez frêle, d’un naturel enjoué et il est doté d’un véritable talent de peintre.
Rien ne semblait le prédisposer à l’action clandestine dont il ignorait tout. Il va pourtant s’y adapter et révéler de grandes qualités d’homme d’action, de responsabilité, et de persuasion. De petits groupements se forment autour de journaux clandestins, mais ils manquent d’argent, d’armes, d’expérience et ils sont réduits à la propagande. Bref la Résistance existe mais elle est pauvre, désarmée, peu nombreuse, divisée et pratiquement sans relation avec la France libre.
Jean Moulin va patiemment s’efforcer de décider les responsables de trois groupes principaux : Henry Frenay pour Combat, Jean-Pierre Lévy pour Franc-tireur et Emmanuel d’Astier de la Vigerie pour Libération (qui, lui, était hébergé chez le peintre résistant Jean Couty à St Rambert l’île Barbe, face à Caluire, au nord de Lyon). Il leur procure de l’argent, des postes émetteurs de radios... et parvient, non sans mal, à aplanir leurs différents, avec l’aide de Marcel Peck, responsable lyonnais de Combat, qui permit de faire avancer la désignation d’un responsable en écartant définitivement la candidature de Frenay, son chef de file. Leur action aboutit, en octobre 1942 à la création de l’Armée Secrète, fusion des groupes paramilitaires de ces trois grands mouvements, dont le commandement est confié au général Delestraint. Début 1943, Jean Moulin va faire fusionner complètement leurs moyens dans les Mouvements Unis de la Résistance (MUR).
En février 1943, il retourne à Londres en compagnie du général Delestraint chef de l’Armée Secrète. Il en repart le 21 mars 1943, chargé pour mission de créer le Conseil National de la Résistance (CNR), tâche peu aisée, car chaque mouvement cherche à conserver son indépendance. La première réunion du CNR se tient à Paris le 27 mai 1943 et il en devient le premier président.
C’est donc ici, à Caluire, le 21 juin 1943, que Jean Moulin, dit « Max », tombe aux mains du « Sicherheitsdienst », le service de renseignements et de sécurité du IIIe Reich. Funeste journée que ce 21 juin 1943 où la tragédie du drame personnel qui se noue le dispute au caractère sordide de l’arrestation qui a changé le cours de l’histoire de la Résistance.
Mais faisons attention de ne pas nous cantonner à la « Résistance des chefs », comme celle de Jean Moulin, pour ne pas occulter la « Résistance des militants », celle des petits réseaux, des dissidents anonymes dont l’action fut pourtant tout à la fois essentielle et décisive.
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