Deux jour après un 1er mai massif et combatif, c’est le moins qu’on puisse dire, huit personnes sont donc passées en comparutions immédiates, après deux jours de garde-à-vue. Des policiers étaient présents dans la salle d’audience et c’est le juge Laroque qui présidait aux cotés de deux assesseurs (le Père ’Duclos’ Noël et une juge qui a déjà condamné des manifestants précédemment).
La première manifestante, étudiante dans le domaine médical, a été arrêtée à la Guillotière pour jet de projectiles. Elle demande à être jugée immédiatement, mais comme il y a trop d’affaire son procès est renvoyé au 7 septembre. Son avocat nie les faits et assure qu’il a « des éléments qui la disculpent » Elle est placée sous contrôle judiciaire avec pointage tous les 15 jours au commissariat et interdiction de manifestation.
La deuxième manifestante a été arrêtée dans la manif nocturne du 1er mai pour tag sur une fontaine port d’un couteau et d’une gazeuse. Même situation que l’étudiante : elle veut aussi être jugé tout de suite mais son dossier est renvoyé de fait au 7 septembre. En attendant elle est placée sous contrôle judiciaire avec interdiction de paraître sur Lyon.
Le troisième manifestant, Pascal*, est accusé de violences sur policiers (sans ITT) avec arme (en l’occurrence deux cacatov) et rébellion (un policier blessé). Il a été arrêté rue Chalopin par des policiers en civil. Dans le box des prévenus, il comparait avec la pommette abîmée. Il s’est pris une grenade dans la tête 15 minutes avant son interpellation qui l’a quasiment mis KO. Sonné, il est allé demander aux flics d’arrêter de tirer et s’est fait envoyé bouler. Il a ensuite contourné le cordon policier pour les caillasser mais des policiers en civil qu’il n’avait pas repéré lui sont tombés dessus. Il a essayé de s’enfuir. Dans l’empoignade, un policier est tombé au sol et s’est blessé au niveau du tibia.
Le juge le réprimande : « c’est un comportement normal, adapté, même compte-tenu de ce qui vous est arrivé ? » L’avocat habituel des policiers sur Lyon, le sinistre Bohé, se plaint que tous les policiers « victimes » ne peuvent être identifiés, que le prévenu a affiché un sourire devant les policiers (avant de lancer ses projectiles) et face aux enquêteurs, qu’il n’est pas dans la « compréhension » (en fait la repentance). « On a une grande chance que ça ne soit pas plus grave » déclare-t-il. Avant de lancer un appel digne du syndicat Alliance et du Rassemblement National : « Il appartient à tout le monde d’être vigilant, y compris les citoyens. Il y a un grand chantier pour que ces individus soient chassés des manifestations comme les hooligans ont été chassé du sport ». C’est d’ailleurs ce que va vraisemblablement tenter le gouvernement : les ministres de l’intérieur et de la justice doivent prochainement plancher sur une nouvelle « loi anti-casseur » [1] selon l’adage gouvernemental « un problème une loi ». L’avocat termine sa plaidoirie en demandant des excuses et des dommages et intérêts pour ses « clients ».
C’est au tour des réquisitions du procureur. Et fait assez exceptionnel, c’est le vice-président du tribunal de Lyon qui prend la parole pour se lancer dans une espèce de diatribe à mi-chemin entre la tribune politique et la conférence de presse [2]. En gros, il se plaint de la situation qui commencerait, selon lui, à devenir « grave ». Il se désole de la manifestation du 1er mai (« jamais il ne nous a été donné de constater un tel spectacle de dévastation »), rappelle le nombre d’interpellés depuis le 17 mars (171), de flics « blessés » (74), etc. tout en prétendant agir dans « l’intérêt général de la société ». En faisant mine d’ignorer que cette société, y’a un sacré paquet de gens qui commencent à en avoir ras-le-bol et qu’il n’y a plus grand-chose à en sauver. Puis il continue son espèce de raisonnement en forme de menaces : tant que vous manifestez gentiment, vous êtes des « citoyens-manifestants », « la république vous reconnaît cette qualité » mais dès que vous sortez des clous, « dès le passage à l’acte délinquant, ils perdent cette qualité ». Entendez : tant que vous ne dérangez pas trop ça va, mais si vous vous révoltez vraiment, tout peut vous arriver et la police à carte blanche contre vous. Il en rajoute une couche avec la fable gouvernementale pour faibles d’esprit : la police ne serait pas là pour protéger l’ordre social, économique et la macronie (à coups de tonfas et de LBD) mais seulement pour « protéger les manifestants et garantir la liberté de manifester ». Des propos dignes de 1984. Le summum de la confusion est atteint quand il établit un lien entre la naissance au syndicalisme et l’action de la police...
Tout ce blabla pour appeler les magistrats à siffler la fin de la récré et à faire des exemples en condamnant lourdement. À noter qu’il a aussi rappelé qu’un nombre important d’enquêtes étaient encore en cours concernant les manifestations de mars, avril et bien sûr mai pour retrouver « tous les auteurs » de « dégradations » et « violences ». Il faut avoir en tête qu’après plusieurs semaines/mois, d’éventuelles condamnations ne seraient sans doute possibles que sur la base d’aveux et/ou de vêtements facilement reconnaissables. À bon entendeur.
L’avocate de Pascal prend sa défense pour demander à ce qu’il ne soit pas jugé pour l’ensemble de ce qui s’est passé le 1er mai. Elle rappelle que les tirs tendus sur manifestants sont interdits, que s’il n’a pas porté plainte, c’est parce qu’il était en garde-à-vue [3] avant de conclure par un « on ne peut pas lui coller l’étiquette de black-block, il est fonctionnaire ». Pascal prend la parole en dernier en disant qu’il n’a jamais frappé ou poussé le policier qui essayait de l’interpeller (et qui a été opéré) mais que ce dernier a dû chuter tout seul dans la bousculade.
Il est condamné à 10 mois avec sursis, un stage de citoyenneté à ses frais [4], interdiction de manifester en France pendant 1 an. Ainsi que 300 euros de dommages et intérêts pour un des policiers. Et il est renvoyé à une date ultérieure pour des dommages et intérêts plus élevés pour le deuxième policier blessé.
Le quatrième interpellé est un sans-papier, Djamel*, arrêté place Bellecour pour violences sur policiers et outrage. Selon les policiers, il leur a lancé des « parpaings » (sic) et les a insulté en français et en arabe lors de son interpellation et durant le trajet jusqu’au commissariat. Selon Djamel, il est allé se plaindre à des policiers parce qu’il s’était pris un coup d’un manifestant et a été arrêté à ce moment-là. Ne comprenant pas pourquoi, il s’est mis à les insulter. Quatre policiers ont déposé plainte contre lui. Djamel : « J’accepterai toute décision de votre part si il y a des preuves contre moi. Il y avait des caméras sur toute la place. Je m’excuse pour les insultes ». Qualifié de « délinquant d’opportunité » par Bohé, qui lui est un avocat d’opportunité, « il n’a rien à voir avec ni avec la manifestation ni avec les black blocks. Avec ses vêtements au milieu des gens en noir, il était visible comme un sapin de noël ».
Son avocate insiste sur le fait que les déclarations des policiers ne valent pas preuves mais au titre de simples « renseignements ». Elle est une des seules, avec un autre avocat, à briser le tabou et à dire clairement qu’il arrive aux policiers de mentir. Et elle explique les raisons qui les poussent à cela : se faire de l’argent avec les dommages et intérêts [5] et justifier, après-coup, leurs interpellations.
Djamel est condamné à 7 mois avec sursis + 100 euros de dommages et intérêts pour chacun des policiers (quatre) qui se sont constitués partie civile. Il est soulagé de ne pas partir en prison comme le demandait le procureur.
Le cinquième manifestant arrêté est étudiant. Guillaume* est poursuivi pour jet de projectiles et dissimulation volontaire du visage. Il a été arrêté sur le pont de la Guill’ à 15h30 après avoir chuté pendant la charge des CRS. Il s’est fait matraqué à cette occasion et a des traces sur le corps. Il dit qu’il n’a rien lancé et se trouvait derrière une banderole avec un parapluie « pour protéger des palets [de lacrymogène] qui tombaient du ciel ».
Le narratif policier est pernicieux. Pour l’individualiser et assurer qu’ils ne l’ont pas confondu et qu’il les a bien caillassés, les policiers assurent qu’ils l’ont reconnu à sa chemise qui dépassait de sa veste. Ce qui est impossible étant donné que 1) ce n’était pas le cas et 2) il était derrière une banderole. Mais le juge s’en fou et s’est déjà fait son avis à la lecture du dossier (entièrement composé de pv policiers/à charge). Il l’enchaîne : « pourquoi avoir adapté cette tenue [noire] », « comment vous expliquez que le policier réitère ses déclarations, les policiers ne font pas de déclarations à la légère ».
Détail qui a son importance : Guillaume a accepté de déverrouiller son téléphone en garde-à-vue. Mais il s’est malencontreusement trompé plusieurs fois de code PIN, ce qui a entraîné son blocage. Le juge le lui reproche mais il n’est pas poursuivi pour cela [6].
Pour Bohé, « nous avons manifestement en face de nous un individu qui fait partie de la mouvance dont on n’accepte jamais de dire qu’on en fait parti. Je suis déçu qu’il n’assume pas ses idées. La république accepte toutes les idées. C’est que ça doit être de mauvaises idées ». Le jour où des pans entiers de la société se seront effondrées et que les différends et les torts entre les gens se régleront différemment, et parfois véritablement, on sera curieux de voir si Bohé assumera ses « idées » devant un conseil révolutionnaire.
L’avocate se plaint que le dossier est « pollué » par une vingtaines de pages, notamment de photos, qui n’ont rien à voir avec ce qui est reproché à Guillaume : « je vous demande de ne pas tenir compte des photos de dégradations qui sont jointes et qui ne le concernent pas ». Elle a apparemment été avertie de son arrestation 14h après le délai légal. Mais pour elle, il n’est pas nécessaire de déposer des conclusions de nullité… « car le reste a été respecté ». Ben voyons. Elle regrette qu’elle n’ait pas vu voir la vidéo-surveillance (sans intérêt dixit la police), que le policier ait pu voir l’audition de Guillaume avant de faire se déposition et qu’il ait refusé la confrontation avec Guillaume. « Il n’a pas eu de gestes d’agressivité ». Elle plaide la relaxe. Il est finalement condamné à 8 mois de sursis, un stage de citoyenneté à ses frais, interdiction de manifester en France pendant 1 an. Et 300 euros au policier pour « souffrances morales » ainsi que 300 euros pour « souffrances physiques ».
Les deux « prévenues » suivantes sont étudiantes en première année de droit. Anna* et Blanche* ont été arrêtées pour jet de projectiles à proximité du métro Saxe-Gambetta. Leur avocat soulève immédiatement des conclusion de nullité, notamment parce que la « fiche de mise à disposition » n’est pas signée : « ça en dit long sur la légèreté de la preuve dans ce dossier ». Ce qui ne sera pas retenu par les juges.
Les policiers disent qu’elles faisaient partie d’un « groupe de black blocs » qui leur jetaient des ballons de baudruches remplies de peintures et de matières fécales (« certains ont éclaté à proximité et nous ont éclaboussé » déclarent-ils). Ce qu’elles nient. Elles ont été arrêtées alors qu’elles se blottissaient contre une grille pour s’asperger de sérum phy et échapper aux gaz. L’une a indiqué aux policiers qu’elle est « dans une proximité de pensée avec les black blocs mais qu’elle ne cautionne pas la violence ». Elles sont arrivées en retard à la manifestation, « c’était déjà confus, le cortège [à l’avant] était mélangé ».
Bohé : « L’une a une honnêteté particulière : "je partage les idées des black blocs sauf la violence". Ça c’est conforme à notre république. On peut partager toutes les idées qu’on veut, sauf user de violences ». Il faut comprendre : on tolère qu’à peu près tout puisse vous passer par la tête, tant que ça ne porte pas à conséquences réelles. Mais si jamais vous prend l’idée de faire un lien entre votre pensée et votre vie/vos actes, si jamais il y a un début d’exécution, par exemple l’idée de vous en prendre au monde du capital et de participer à un mouvement de révolte contre la macronie, vous sortez du cadre et alors là, vous êtes hors-cadre et vous risquez de passer un sale quart d’heure. Puis, comme elles sont femmes et jeunes, il s’alarme du fait qu’elles auraient pu être blessées car elles étaient « au cœur des blacks blocs ».
Malgré les plaidoiries de leurs deux avocats, elles sont condamnées à 4 mois avec sursis, un stage de citoyenneté à leurs frais, interdiction de manifester en France pendant 1 an.
Le huitième et dernier manifestant de la journée à comparaître a été arrêté à Bellecour pour jet de projectiles + rébellion. Beaucoup de gens sont venus soutenir Achille*. Quand il a vu son ami se faire interpeller [7], il a jeté une capsule de gaz lacrymogène vide sur les policiers (une bouteille selon eux). Un policier le voit armer son bras, se précipite, le frappe au niveau des trapèzes. Au sol, Achille se prend des coups de matraques et essaie de bloquer la matraque contre lui pour faire cesser les coups. Il n’a pas donné immédiatement une de ses mains car il l’utilisait pour se protéger le visage des gaz.
Le juge : « Pourquoi vous êtes en colère ?
Achille : Parce que je vois mon ami se faire interpeller.
J : Oui mais vous ne savez pas les raisons ».
La défense : « La rébellion, je vois une vraie difficulté, voire un cas de conscience. On a quelqu’un de sonné, qui essaie de se relever. Il était avec les syndicats et les étudiants, il a paniqué devant l’interpellation de son ami, il a eu un geste de désespoir ». Il « laisse apprécier à la cour pour l’interdiction de manifestation » et ne la conteste pas… Comme pratiquement aucun-e autre avocat-e tout le long de la journée.
Achille est condamné à quatre mois avec sursis, un stage de citoyenneté à ses frais, interdiction de manifester en France pendant 1 an. Et 300 euros de dommages et intérêts pour chacun des trois policiers qui l’ont interpellé.
En fin de journée, tou-te-s les interpellé-e-s ressortent libre de ces deux jours de garde-à-vue et retrouvent leurs proches. Gros moment de joie. Et malgré la fatigue et les peines prononcées, tout le monde se réconforte, se parle, se raconte sa garde-à-vue. La colère contre la réforme des retraites, Macron, la police et le système judiciaire est toujours intacte. Il faudra plus que des « peines dissuasives » (selon les mots du juge) pour l’éteindre. Une arrestation et une condamnation contre l’un-e d’entre nous est une attaque contre l’ensemble du mouvement. La haine que ce gouvernement a accumulé contre lui grandit de semaine en semaine, à mesure que le désir de le voir chuter se répand.
Manifestation régionale à Lyon le 6 mai. Une date nationale le 6 juin. Macron et Dupont-Moretti à Lyon le 8 mai. Autant de d’occasions de continuer le mouvement en cours.
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