TOUS INCOMPÉTENTS !
Pôle Emploi est devenu France Travail ! Beau cadeau de nouvelle année de la part de l’État, le service qui vise à instaurer le « plein emploi » dans ce pays change de nom mais pas d’esprit : il va surtout aller encore plus loin dans le contrôle permanent des chômeurs, des RSAstes et des précaires pour instaurer un dilemme clair et limpide à tout ce petit monde : le travail ou la radiation ! Mais vu que le plein emploi n’existe plus depuis longtemps (Dieu merci !) - bien que tous les travaillistes, du gouvernement à la CGT, fassent semblant de ne pas le savoir – on a plutôt affaire ici avec la forme du travail, avec le temps qu’il prend à nos vies qu’il s’agit de ne pas laisser « s’éloigner de l’emploi », sous des formes dont l’absurdité ne fait que s’accroître : travailler à sa propre insertion pour en faire travailler d’autres à nous insérer.
France Travail, Pôle Emploi en pire
Avec la création du « Réseau pour l’Emploi » dont France Travail est maintenant la seule porte d’entrée (tous les sans-emploi auront l’obligation de s’y inscrire), l’État rassemble tous les organismes, publics et privés, chargés de l’emploi et de l’insertion, dont les agences d’intérims par exemple, dans un seul et même réseau, pour optimiser leur mainmise sur les allocataires.
Les chômeurs, les RSAstes (et leur ménage éventuel), les personnes accompagnées par les missions locales et les personnes handicapées en insertion auront toutes et tous l’obligation de s’inscrire sur les listes de demandeurs d’emplois, et seront liés à France Travail par le Contrat d’Engagement. Ce Contrat d’Engagement oblige “tous les inscrits en tant que demandeurs d’emplois à France Travail” (donc RSAstes, chômeurs, Contrat Engagement Jeune mais aussi potentiellement les bénéficiaires de l’allocation adulte handicapée) à 15 à 20h d’activité hebdo-madaire en contrepartie de leurs allocations : ateliers, formations, « mises en situation professionnelle » (est-ce jouer à mimer le travail ? pour rester habitué ?), et ce, sans maximum d’horaires. Pour les employeurs, c’est bien pratique : aucun salaire ni cotisation à verser et une main d’œuvre en plus pour faire les sales besognes, à flux tendu, 3 jours ici, 2 jours-là, sans aucune garantie de poste dans le contrat.
Si le Contrat d’Engagement n’est pas respecté, France Travail pourra mobiliser une nouvelle mesure : la « suspension-remobilisation » : les allocations seront suspendues et versées rétroactivement si l’allocataire suspendu se remet à respecter le Contrat (avec peut-être la mise en place d’un maigre reste à vivre, ce qui n’a pas encore été décidé) : travail ou suspension ! Mais une fois suspendu, remobilisation, donc retravail mais en plus martial ! Une sorte de rééducation au travail par le chantage au revenu, en somme.
Outre ces mesures, depuis un certain moment, l’État durcit l’accès à l’assurance chômage en incitant les entreprises à signaler les travailleurs refusant des CDI, en mettant en place une présomption de démission en cas d’abandon de poste, en prévoyant des mesures pour limiter le nombre de ruptures conventionnelles ou en annonçant la suppression de l’ASS, dans le but de réduire drastiquement le nombre d’allocataires de l’assu-rance chômage. Le changement de l’âge plancher et l’allongement des années de cotisations pour l’accès à la pension-retraite relève de la même logique.
Le Réseau pour l’Emploi est aussi le moyen pour l’État d’avoir à disposition des données importantes sur tous ceux et celles qui zigzaguent entre chômage, RSA, un peu d’emploi puis re-chômage, afin d’adapter sa manière de les remettre au boulot : les données dont disposait Pole Emploi, les données sociales (situation familiale, hébergement) et les données médicales notamment pour les gens en situation de handicap, seront normalement disponibles pour les acteurs, privés et publics, du Réseau pour l’Emploi. En termes de santé par exemple, on se retrouve avec des Parcours Emploi Santé, composés d’entretiens réguliers avec des psys et des professionnels du monde de la santé, dont l’exercice du métier est maintenant unique-ment orienté vers la reprise du travail du patient-allocataire. Ces professionnels sont employés afin par exemple de vous aider à identifier quels sont les gestes que vous ne pouvez pas faire pour raisons de santé et, par voie de conséquence, ceux que vous pouvez faire sans être gêné, histoire de bien établir quels emplois il serait possible de vous proposer afin de vous remettre au travail. D’ailleurs, les professionnels qui vous accompagnent sont tenus à un respect de la confidentialité, SAUF envers votre conseiller Pole Emploi/France Travail, celui-là même qui veut vous envoyer au turbin ! Finie la santé au travail, concept qui était déjà bien douteux tant le travail participe à l’esquinter, maintenant c’est la santé POUR le Travail !
Ne nous insérons jamais !
Face au refus des tire-aux-flancs qui ne veulent pas aller au charbon, France Travail va bien évidemment continuer la fameuse « mission d’insertion professionnelle » qu’avait Pole Emploi. Et cette insertion, qui est un business à part entière avec ses acteurs, son marché, son économie, passe de manière assez centrale par l’acquisition progressive d’une multitude de compétences, qui n’en sont d’ailleurs pas vraiment, et qui peuvent être résumées par le réflexe pavlovien de tout bon conseiller en réinsertion : le savoir-être professionnel. Tout un arsenal de concepts évanescents établis par des chercheurs en sciences de l’éducation (qui trouvent là un débouché formidable pour leurs recherches) est mis en œuvre pour rendre soi-disant transparent le cadre dans lequel se retrouve pris l’allocataire en insertion. Des cohortes d’agents d’insertions travaillent à expliquer à des petits groupes de futurs insérés, à coups de stabilo sur des tableaux veleda, la différence fondamentale entre savoir, savoir-être et savoir-faire, savoir transversal et savoir relationnel, catégories nébuleuses qui ne servent qu’à faire croire que tout ça est pour le mieux dans le meilleur des mondes bien pensé et bien rangé... et faire avaler la couleuvre qui est : aucune qualification n’est nécessaire ni prise en compte pour travailler, la seule vertu, le seul apprentissage, la seule formation, c’est l’obéissance.
Dans les chantiers d’insertion par exemple, sorte de contrat précaire de 4 mois renouvelables 5 fois, on vous fait signer un contrat de « salarié polyvalent » à disposition de votre employeur (bien souvent la communauté de communes ou une autre entité administrative, qui peut vous envoyer faire ce qu’il veut). En quelques mois, il est possible d’enchaîner un bon nombre de tâches différentes, surtout dans les secteurs les plus difficiles (BTP, aide à la personne, secteur du nettoyage industriel, manutention…) où vous êtes la plupart du temps en aucun cas qualifié et dans des conditions de travail difficiles ou dangereuses. Peu importe, on apprend en faisant pour Pôle Emploi, et vous ressortez de ces quelques mois ou années avec un CV bien rempli, bardé de plein de nouveaux « savoir-être » et perclu de nouveaux « savoir-faire » transversaux et relationnels que vous, et surtout votre conseiller, pourrez mobiliser pour vous trouver un emploi ! Et vous voilà chair à canon de la remobilisation, nouvel Ouvrier Spécialisé de la restructuration actuelle du capital, la chaîne se diversifie, vous êtes prêt à tout accepter, votre contrat le stipule : vous êtes POLYVALENT.
Cette obsession pour les compétences et les savoirs-êtres est un leitmotiv pour les patrons et l’État, qui se voit de manière criarde dans le système scolaire. Dès le plus jeune âge, les élèves sont jugés en fonction de compétences qu’ils ont acquises ou pas, et qui peuvent dépasser les disciplines strictement scolaires pour déborder sur les fameuses « compétences psycho-sociales ». Plus de mauvais élèves : tout le monde acquiert les compétences en question puisqu’elles sont pour l’État la clé de votre employabilité polyvalente : le système se veut formidablement inclusif et intégrateur. Couron-nement du parcours d’acquisition de compétences « de la maternelle au marché de l’emploi » que se veut maintenant l’école, le SNU viendra apporter aux adolescents son surplus d’apprentissage de l’obéissance, du respect des institutions et du sacrifice de la vie pour la Nation, avec sa dose de caserne et sa dose de service civil pour fabriquer les petits soldats bardés de compétences de la remobilisation. L’objectif est bien de conformer tout un chacun à ce que les patrons et l’État veulent de nous : arriver à l’heure, bien bosser, bien respecter, bien fermer sa gueule face à la hiérarchie et repartir chez soi, heureux d’avoir contribué au « plein-emploi » et au « réarmement économique de la nation » si possible !
Alors que ces dispositifs ont déjà été expérimentés dans plusieurs départements et qu’ils sont voués à être généralisés le 1er janvier 2025, il est urgent de commencer à se mobiliser contre ces mesures qui visent à généraliser l’exploitation et forcer les récalcitrants !
Ils veulent nous insérer dans le marché du travail, en nous rendant compétents, pétris de « savoir-être » et perclus de « savoir-faire » ! Continuons à trouver les moyens de tirer au flanc !
Esquivons autant que nous pouvons leurs chantiers de réinsertion où nous sommes une main d’œuvre larbinisée idéale à peu de frais pour l’État et les patrons, fuyons leurs formations visant à l’acquisition de compétences et de savoirs, qui sont des arguments en plus pour qu’ils nous trouvent un emploi.
Refusons cette vie au travail qui ne ressemble qu’à une longue punition.
A la guerre comme à la guerre, trouvons les moyens de se faire réformer
Devenons tous incompétents !
Contact et récits d’incompétences : tousincompetents@proton.me
Des Chiens d’la casse
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