La rentrée sociale de l’automne 2024 a été marquée par une mobilisation syndicale contre le projet de réforme des arrêts maladie de la fonction publique. S’alignant sur le secteur privé, cette réforme prévoit trois jours de carence et une indemnisation à hauteur de 90% du salaire. Ce « danger sanitaire » (Sud Educ 95) a mis vent debout l’ensemble des organisations professionnelles contre celleux qui « vont tous nous rendre malades » (CGT Educ Paris). Sur les visuels envoyés via les messageries professionnelles et affichés dans les salles des personnels, des photos de personnes qui se mouchent fort, se tiennent la tête à cause d’un mal de tête, portent des masques chirurgicaux (voire en tissu), des petits dessins de virus… mais pas de Covid à l’horizon. « Il va vous brutaliser, vous épuiser, vous faire perdre des jours de salaire » (SNES-FSU) : d’un côté le ministre de la fonction publique d’alors, Guillaume Kasbarian, de l’autre, le virus de la grippe. On sort alors tout juste d’une des plus importantes vagues de contamination au Sars-Cov2 depuis 2022, mais sur les affiches, la pandémie en cours est absente. Les dernières données disponibles sont pourtant formelles : en 2023, le Covid-19 a tué 15.000 à 20.000 personnes en France, la grippe environ 9.000.
Le nombre d’arrêts maladie dans la Fonction publique est passé de 43 millions de jours en 2014 (pas de jour de carence à l’époque) à 60 millions en 2022 (Communiqué « Arrêtez d’être malade » de SudD TAS du 7 novembre 2024). Le Covid a contribué a cette aggravation avec d’autres facteurs, dont la dégradation généralisée des conditions de travail. Cette augmentation n’est pas propre à la France, on la retrouve dans différents pays parmi ceux qui fournissent des statistiques à ce sujet [1]. Leur réponse est elle aussi très similaire, puisqu’elle consiste à stigmatiser les travailleur·euses, à revendiquer une crise de la « valeur travail » tout en niant celle de la santé publique. Les données scientifiques abondent désormais pour démontrer que la pandémie qui dure depuis plus de 5 ans est à l’origine de l’augmentation du nombre d’arrêts maladie (de courte ou de longue durée), à l’« absentéisme » des travailleur.euses et à l’effondrement de la santé au travail [2]. Les lieux de travail, comme tous les espaces sociaux en intérieur, brassent les contaminations : des bureaux fermés aux open spaces, des cafétérias aux salles de repos des personnels, des chambres d’hôpital aux établissements scolaires, le virus aérosolisé reste en suspension et se transmet de poste en poste. Le télétravail a été proposé massivement aux classes moyennes et supérieures au début de la pandémie pour cette raison, tandis qu’à la même époque, 27% des employé·es, dit·es « essentiel·les » ou « de première ligne », ont été sommé·es de rester à leur poste de travail sans protection particulière [3]. C’est sur ces travailleur·euses, du soin, de la logistique, de la production et de la transformation des denrées alimentaires, des chaînes industrielles, de l’aide à la personne, que s’est abattue la première vague de Covid-19. Il en résulte une surreprésentation des femmes et des personnes racisées dans les contaminations ou dans la disparition partielle ou totale des revenus.
La stratégie du « tout vaccin » menée par le gouvernement a été alimentée par le patronat dans une volonté de retour à la normale de l’économie. Elle a conduit à une dégradation des conditions sanitaires des postes de travail, sur fond de désinvestissement dans la médecine du travail depuis une vingtaine d’années. Partout, dans le privé et dans le public, les représentant.es des personnels et les syndicats ont accompagné la reprise du travail alors que le contexte s’était dégradé par rapport au début de la pandémie. Là où les CSE (comités sociaux et économiques, ex-CHSCT) ont joué un vague rôle jusqu’en 2022 pour pousser le patronat à appliquer les mesures étatiques, la question de la pandémie a rapidement été évacuée et aucune mesure n’a été prise à long terme. Il aurait pourtant été avisé d’exiger la mise à disposition de masques, des arrêts de travail facilités pour les personnes malades, l’amélioration de la qualité de l’air intérieur.
Même tendance du côté syndical. Certaines branches ont sombré en défendant les soignant·es non-vacciné·es au nom de la préservation de l’emploi ou du statut de fonctionnaire. On a pu voir des positions complotistes dans des tracts, des syndicats dits « de lutte » appeler à rejoindre des manifestations explicitement d’extrême droite, des syndicalistes afficher des étoiles jaunes dans ces manifestations. Ces positions n’étaient pourtant pas la tendance majoritaire. Elles ont créé des remous et des conflits à l’intérieur des branches et au sein des centrales syndicales. Il y a plutôt eu de l’espoir au départ avec le soutien aux soignant·es mobilisé·es, la mobilisation des syndicats d’enseignant·es pour obtenir des masques de qualité correcte ou encore des luttes dans la logistique pour améliorer les conditions sanitaires de travail ou l’évaluation des risques [4]. Toute la population s’identifiait alors à juste titre comme vulnérable face à ce virus. Mais bientôt, la plupart des fédérations ont rejoint le déni général et le covidonégationnisme.
Seuls quelques syndicats ont surnagé, à l’instar du STAA CNT-SO, du STJV ou de rares branches de Solidaires : ils ont défendu l’adoption de mesures de réduction des risques à la fois sur les lieux de travail et dans les événements syndicaux. Mais le narratif libertarien devenu dominant, les syndiqué·es, comme le reste de la population, ont exprimé leur ras-le-bol vis-à-vis des mesures de soin mutuel, en particulier du port du masque, progressivement diabolisé car perçu comme contraire aux libertés individuelles et à la convivialité. Une forme d’eugénisme qui s’exprime en toute bienveillance. Les syndicats qui ont continué de défendre une exigence de protection sanitaire minimale ont la particularité d’être des petites entités, pour qui il est sans doute plus facile de résister à la pression conformiste vers un « retour à la normale » que pour de grandes centrales soucieuses de ménager la sensibilité de leurs adhérent·es aux profils politiques très diversifiés. Ainsi s’est opéré un grand alignement des positions syndicales et des forces de gauche sur celles du patronat et des gouvernements : l’essentiel était de remettre la machine à produire en marche, au nom de la santé de l’économie et de la préservation de l’emploi, quoi qu’il en coûte de la santé des travailleur·euses, de leurs proches, de l’ensemble de la société. La bonne marche du capitalisme a été présentée comme un impératif social.
Il est ici intéressant de dresser un parallèle avec l’amiante. Alors que le danger de l’amiante était reconnu depuis 1906 [5], on a compté plusieurs milliers de morts chaque année en raison de l’exposition à l’amiante sur le lieu de travail, particulièrement dans les usines et dans le BTP. Dans ce qu’on appelle aujourd’hui le « scandale de l’amiante » qui mène à son interdiction en 1997, tous les acteurs du monde du travail se sont accordés à minimiser les risques encourus par les travailleu·euses. Le patronat a refusé de remettre en question ses structures et les syndicats ont opté pour un rôle d’accompagnement en participant au Comité permanent amiante (CPA) chargé de définir la politique sanitaire en la matière. Ce faisant, ils ont opté donc pour défendre le poison et soutenir la marche suicidaire au nom de la sacrosainte défense de l’emploi [6]. Comme pour le parallèle entre Covid et Sida, comparaison n’est pas raison, et il y a des différences entre les modes de transmission et les dégâts créés par un produit toxique et un virus transmissible par aérosols. Toutefois, la minimisation continue des conditions de travail et donc de la santé des travailleur·euses présente d’importantes similitudes. On retrouve cette concorde entre patronat et syndicats pour privilégier l’économie sur la santé et maintenir l’existence d’industries nocives aux ouvrier·es et à la population (qu’on pense à la pétrochimie ou à l’industrie de l’armement).
L’absence totale de prise en compte du Covid-19 sur les lieux de travail aggrave fortement les risques encourus par les travailleur·euses. Chaque contamination porte en effet une nouvelle atteinte aux systèmes immunitaire et cardiovasculaire, et tout effort peut entraîner des séquelles ou les aggraver [7]. Obtenir les jours d’arrêt nécessaires à un repos suffisant suite à une contamination s’avère souvent être une gageure face à une corporation de soignant·es acquise à la désinformation et traitant le Covid-19 comme un vulgaire rhume. Pour les 10% des contaminations menant à des Covid longs, la situation est pire encore. Les états d’épuisement, de dépression, de brouillard mental et d’urgences cardio-respiratoires rendent la vie professionnelle extrêmement complexe, voire impossible : nombre sont obligé·es de quitter leur emploi et de mener un nouveau combat pour faire reconnaître la maladie et peut-être parvenir à compenser la perte de leurs revenus [8]. Le pari fallacieux de l’immunité collective, portée par le gouvernement, le patronat et le monde médical a quant à lui servi depuis le début de la pandémie à minimiser les conséquences du Covid-19, effaçant l’idée même d’une exposition aux risques dans les lieux de travail. L’exploitation coûte que coûte de la population dans un contexte sanitaire dégradé produit un phénomène handicapant de masse : la ligne qui sépare les travailleur·euses en bonne santé des autres ne tient plus qu’à une question de temps.
Que faire alors ? Tout d’abord, lutter activement pour rétablir une médecine du travail contrôlée par les travailleur·euses, accessible facilement pour toustes. Ensuite, contrer l’ensemble des virus aérosols par une amélioration durable de la qualité de l’air intérieur : mise en place de capteurs de CO2 pour surveiller sa dégradation, amélioration de la ventilation et de la purification de l’air. Conjointement, mettre en place une réduction des risques rigoureuse via la distribution gratuite et massive de protections personnelles comme les masques normés FFP2. Enfin, à l’instar des rares syndicats qui l’ont déjà fait, informer les travailleur·euses sur l’autodéfense sanitaire, porter ces questions dans les AG comme dans leurs mouvements sectoriels. Pour notre santé et face aux pandémies à venir, il est plus qu’urgent de développer des pratiques radicalement antivalidistes et antifascistes sur nos lieux de travail.
Les Canards Masquées est un groupe d’autodéfense sanitaire composé de palmipèdes handi·es et valides qui luttent pour des futurs antivalidistes.
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