Tension très vive à Ouagadougou ce 15 octobre 2007, en effet Blaise Compaoré veut fêter les 20 ans de son autorité sur le Burkina Faso en créant la division et la guerre ouverte, tandis qu’en même temps seront commémorés par tout le peuple burkinabé, et même de façon mondiale, avec l’arrivée d’une Caravane venant du Chiapas et de Mariam Sankara, sa veuve, les 20 ans de l’assassinat de Thomas Sankara perpétré par Compaoré lui-même. Des menaces sur les membres du collectif d’organisation Sankara 2007 ont d’ailleurs été proférées.
« Parce que de toutes les races humaines, nous appartenons à celles qui ont le plus souffert, nous nous sommes jurés de ne plus jamais accepter sur la moindre parcelle de cette terre le moindre déni de justice. » (Thomas Sankara) [1]
« Sur les Traces de Thomas Sankara, Héritages en Partages... »
Documentaire sur internet libre de droit en deux parties de 90 mn réalisé par les studios BARAKA, sorti en 2010.
Combien d’assassinats par Compaoré, soutenu par les systèmes de la Françafrique et des Etats-Unis ?
Peu de temps après l’assassinat, le 15 octobre 1987, de Thomas Sankara, « son ami », « son frère » tel qu’il le disait, et de douze de ses conseillers à la présidence, c’est une centaine d’habitants de Koudougou qui sont les nouvelles victimes de Compaoré soi-disant pour une rébellion qui n’a jamais eu lieu. Puis il fait fusiller Henri Zongo et Jean-Baptiste Lingani, ses anciens compagnons et compagnons de Sankara dans la « révolution » ; il fait assassiner aussi ses opposants Clément Oumarou Ouédraogo et Watamou Lamien, et éliminer Hyacinthe Kafando, un de ceux qui ont mitraillé Sankara. En 1990, Guillaume Sessouma, professeur d’université, et l’étudiant Dabo Boukary sont enlevés, torturés et assassinés tout comme David Ouédraogo, chauffeur du frère de Blaise Compaoré, les exactions étant faites dans le palais de la présidence. Le 13 décembre 1998, le journaliste indépendant, Norbert Zongo et trois autres personnes sont assassinées sur la route, ce qui déclenche une manifestation contre le régime de plus de dix kilomètres de long à Ouagadougou le jour de l’enterrement. En 2000 c’est un collégien, Flavien Nébié, qui est tué. Et combien d’autres assassinats ? Pas loin d’une centaine encore, sont à mettre à l’actif de Compaoré...
Ce qui est grave, c’est que l’ensemble des dirigeants et notamment en France puisse accueillir l’assassin Compaoré, ce trafiquant d’armes qui a amassé une fortune colossale, comme quelqu’un de fréquentable, voire même avec tous les honneurs, comme l’a fait Gérard Collomb, le maire de Lyon, le 18 octobre 2001 et le 23 avril 2004.
Les premières années de Thomas Sankara
Thomas Sankara est né à Yako le 21 Décembre 1947 dans une famille chrétienne de 14 enfants ; il était un « Peul-Mossi » qui n’a jamais oublié ses origines modestes. Son père, décédé le 4 août 2006, fut prisonnier comme tirailleur dans la seconde guerre mondiale, puis après avoir été enrôlé en Indochine dans les sales guerres coloniales, abandonné par la France à une retraite de misère d’ancien combattant, il est infirmier dans la gendarmerie de Haute-Volta. Sa mère, Marguerite est décédée le 6 mars 2000.
Après des études secondaires à Bobo-Dioulasso, la carrière militaire de Thomas commence à 19 ans, avant qu’il ne soit envoyé poursuivre sa formation à Madagascar. Il aura donc l’occasion d’observer de ses propres yeux les soulèvements populaires malgaches contre le régime néo-colonial en 1971/1972. Ici, naissent ses idées d’une "révolution démocratique et populaire".
Il retourne en Haute-Volta en 1972, et participera à la guerre contre le Mali de 1974.
Il va ensuite en France, puis au Maroc où il rencontre en 1976 Blaise Compaoré. Les deux hommes deviendront rapidement très proches, se considérant comme des "frères". Les deux hommes formeront avec Henri Zongo et Jean-Baptiste Boukary Lingani le ROC ou Rassemblement d’Officiers Communistes qui sera un rassemblement de jeunes officiers voulant changer les choses.
Thomas Sankara est nommé Secrétaire d’Etat à l’Information en Septembre 1981 dans le gouvernement Saye Zerbo, et fera sensation en se rendant à vélo à sa première réunion de cabinet. Il démissionnera avec fracas le 21 Avril 1982 pour marquer sa protestation, en s’écriant « Malheur à ceux qui veulent bâillonner le peuple ».
Le 7 novembre 1982, un coup d’état place Jean-Baptiste Ouedraogo au pouvoir. Thomas Sankara sera nommé Premier Ministre en janvier 1983. Dans son discours d’investiture, le mot "peuple" revient 59 fois. Thomas Sankara se fait immédiatement remarquer au sommet des "non-alignés" de New Delhi par un discours virulent contre le néocolonialisme. Mais le système de la Françafrique fait la pluie et le beau temps ! Après une visite des conseillers français aux affaires africaines, Guy Penne et Jean-Christophe Mitterrand, le fils du président français, Thomas Sankara sera emprisonné par Ouedraogo le 17 mai 1983.
Son ami d’alors Blaise Compaoré organise un coup d’état le 4 Août 1983, et le libère. Puis on force Thomas Sankara à prendre le pouvoir.
Thomas Sankara président des pauvres
"Tom Sank" comme certains l’appelaient voulait être un président différent, et incarnait un certain enthousiasme.
Il a commencé par prendre quelques mesures spectaculaires comme vendre les voitures de luxe des membres du gouvernement, et se déplaçait lui-même en Renault R5.
Au premier anniversaire de la "Révolution", le 4 Août 1984, il change le nom de son pays de Haute-Volta, hérité de la colonisation, en "Burkina Faso", ce qui signifie "Le Pays des Hommes Intègres".
Commencent ici ses œuvres pour redonner au Burkina Faso une dignité, une autonomie et une indépendance économique (le fameux "consommons Burkinabé") de par ses actes et ses discours. Très tôt contre l’injustice, il se montre contre la domination historique des grandes puissances sur son pays et pour la participation du peuple au pouvoir ; le mot d’ordre est que le pays doit vivre de ses propres forces et au niveau de ses propres moyens.
Il décrète la gratuité des loyers durant toute l’année 1985, et entame un programme important de construction de logements.
Dans un pays où l’espérance de vie atteignait à peine 40 ans, et qui avait le record mondial de décès chez les enfants de moins de cinq ans, il a développé une vaste campagne de vaccination des enfants qui fera chuter le taux de mortalité infantile, et de construction d’hôpitaux. Il a fait construire énormément d’écoles. Il a mis en place une grande réforme agraire de redistribution des terres aux paysans, avec une élévation des prix et la suppression des impôts agricoles.
Il a montré une conception moderne de la condition féminine, en condamnant la polygamie, en interdisant l’excision, et en permettant aux femmes une meilleure participation à la vie politique. Il a nommé plusieurs femmes dans son gouvernement.
Il a engagé une lutte contre la corruption, qui s’est traduite par des procès retransmis à la radio, mais sans condamnation à mort.
Il a également entrepris une campagne de reboisement du Sahel par des plantations de millions d’arbres pour stopper l’avancée du désert.
Il n’a pas hésité à reprendre à son compte certaines thèses panafricanistes de Patrice Lumumba ou Nkwame Nkrumah. Il prend position pour le Front Polisario.
Il soutient le Nicaragua sandiniste. Il critique le FMI et les institutions monétaires internationales.
Sa vision ne le limitera pas au seul Burkina-Faso puisqu’il sera très actif à dénoncer la néo-colonisation, sera un vif pourfendeur de l’apartheid, et fera sensation en s’opposant au paiement de la dette par les Africains. Lors d’un sommet de l’OUA à Addis-Abeba, il s’écriera « Je dis que les Africains ne doivent pas payer la dette. Celui qui n’est pas d’accord peut sortir tout de suite, prendre son avion et aller à la Banque mondiale pour payer ».
Une énorme popularité malgré des erreurs
Sankara a certes fait des erreurs. Mais on a aussi mal compris les bouleversements qu’il entreprenait. Il voulait imposer aux fonctionnaires de participer à des chantiers, et ça ne plaisait pas à tout le monde. Il s’est heurté aux partis politiques et aux syndicats qui préféraient garder leurs habitudes, leurs prérogatives. Dans l’enthousiasme de la "révolution", il remplace par exemple 2.600 instituteurs par des "révolutionnaires" peu qualifiés. Mais peut-on parler véritablement de révolution populaire ? Alors qu’en fait cela a commencé par un putsch de militaires...
Et pour faire contre-poids à l’armée, il encouragera la création de sortes de milices qui finiront par créer de l’insécurité.
Il contrôlera la presse, et certains de ses opposants qu’il fait enfermer. Quels paradoxes ! Il a une formation de militaire, et malgré sa grande ouverture, un esprit militaire demeure en lui. Un conflit frontalier conduira à des affrontements avec le Mali, durant lesquels près de 100 personnes perdront la vie.
Lors du 4e anniversaire de la révolution, Sankara reconnaîtra quelques erreurs, et décidera d’infléchir certains aspects de la révolution. On lui prête notamment la phrase : « Je préfère faire un pas avec le peuple, que cent sans le peuple ».
Des rumeurs de complot bruissent au Burkina-Faso ce pays qui, comme on l’a vu, a souvent été agité par des coups d’état. Sankara, comme tous, les entend, et on lui prête les propos suivants, difficiles à vérifier, mais qui auront contribué à augmenter sa légende après sa mort : « On peut tuer un homme, mais on ne peut pas tuer ses idées », ou commentant l’attitude de Blaise Compaoré « Le jour que vous entendrez que Blaise Compaoré prépare un coup d’État contre moi, ce n’est pas la peine de me prévenir. Car, ce serait trop tard ».
Ce qui est certain, c’est que Compaoré, alors ministre de la justice dans son gouvernement, ignore les recommandations de Sankara, et vit dans le luxe.
Il a également épousé un membre de la famille d’Houphoüet-Boigny, le président de la Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire voit Sankara d’un mauvais oeil, et est très proche de la France, qui digère mal les discours de Sankara et craint qu’il fasse tache d’huile en Afrique.
L’attitude de Sankara, et la grande popularité dont il jouira au sein de la jeunesse africaine finiront par lui attirer la méfiance de ses voisins, et de certains pays occidentaux, dont surtout la France, qui, cohabitation aidant, resserre les liens de la Françafrique et décide d’en finir d’avec ce trublion, en jouant la carte Compaoré.
Le 15 Octobre 1987
Thomas Sankara est en réunion avec des conseillers quand des bruits d’armes automatiques résonnent. Il aurait dit à ses conseillers « Restez, c’est à moi qu’ils en veulent ».
Il sort du palais, en short, les mains en l’air, mais visiblement les mutins n’avaient pas pour consigne de l’arrêter, mais de le tuer, et quelques rafales mettent fin à sa vie, ainsi qu’à celle de douze de ses conseillers.
Comme pour tuer le symbole une seconde fois, il sera enterré à la va-vite, et de façon quasi-anonyme.
L’onde de choc provoquée par son assassinat parmi la jeunesse africaine, et notamment burkinabé, a poussé le régime à lui donner une sépulture plus convenable par la suite. Toute la population burkinabé défile en effet dans les rues pour pleurer l’enfant chéri qui n’avait que 37 ans, et les jours suivants, des milliers de personnes se rendent sur sa tombe en condamnant ainsi ce crime.
Son bras droit Blaise Compaoré prend le pouvoir aussitôt après sa mort, et prétendra avoir agi ainsi parce que Sankara projettait de l’assassiner, mais ses propos n’ont pas convaincu grand monde. Et 20 ans après, l’assassin est toujours au pouvoir.
Extraits de ses grands discours
« Tant qu’il y aura l’oppression et l’exploitation, il y aura toujours deux justices et deux démocraties : celle des oppresseurs et celle des opprimés, celle des exploiteurs et celle des exploités.
La justice sous la révolution démocratique et populaire sera toujours celle des opprimés et des exploités contre la justice néo-coloniale d’hier, qui était celle des oppresseurs et des exploiteurs. »« Il n’y a pas de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée. Que jamais mes yeux ne voient une société où la moitié du peuple est maintenue dans le silence. J’entends le vacarme de ce silence des femmes, je pressens le grondement de leur bourrasque, je sens la furie de leur révolte. J’attends et espère l’irruption féconde de la révolution dont elles traduiront la force et la rigoureuse justesse sorties de leurs entrailles d’opprimées. » [2]
« Le pillage colonial a décimé nos forêts sans la moindre pensée réparatrice pour nos lendemains » [3]
« Il faut proclamer qu’il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles que tous les charlatans de même acabit ont essayé de nous vendre 20 années durant. Il ne saurait y avoir pour nous de salut en dehors de ce refus là. Pas de développement en dehors de cette rupture là. Il faut ranimer la confiance du peuple en lui-même en lui rappelant qu’il a été grand hier et donc, peut-être aujourd’hui et demain. Fonder l’espoir. » [4]
« La plus grande difficulté rencontrée est constituée par l’esprit de néo-colonisé qu’il y a dans ce pays. Nous avons été colonisés par un pays, la France, qui nous a donné certaines habitudes.
Et pour nous, réussir dans la vie, avoir le bonheur, c’est essayer de vivre comme en France, comme le plus riche des Français. Si bien que les transformations que nous voulons opérer rencontrent des obstacles, des freins. »« L’esprit de liberté, de dignité, de compter sur ses propres forces, d’indépendance et de lutte anti-impérialiste doit souffler du Nord au Sud, du Sud au Nord et franchir allègrement les frontières. D’autant plus que les peuples africains pâtissent des mêmes misères, nourrissent les mêmes sentiments, rêvent des mêmes lendemains meilleurs. »
Quelques paroles sur Sankara
Boukari Kaboré qui a joué un rôle déterminant au gouvernement aux côtés de Thomas Sankara nous parle de lui :
« Thomas Sankara aimait beaucoup le débat. Si vous aviez une discussion, un débat avec lui, il allait jusqu’au bout. Ou bien vous le convainquiez, ou bien c’est lui qui vous convainquait. Si entre-temps le sommeil vous prenait, il vous laissait dormir et dès le lendemain il ramenait le même sujet et vous repreniez le débat de plus bel. Il aimait débattre et voulait être convaincu par la démonstration.
Il disait sèchement la vérité et était à l’aise. Les plus beaux souvenirs que je garde de Thomas Sankara, c’est lorsqu’il devait représenter notre pays à des rencontres internationales. On était alors très fier d’être Burkinabè. Thomas était disert. Il n’avait jamais de discours écrit, mais cela ne l’empêchait pas d’être méthodique et très cohérent dans ses propos. Il était particulièrement persuasif.
Pour faire une Révolution, il faut une bonne dose de courage. Il y a des choses qui peuvent être bien, mais qui ne sont pas populaires. Pour un révolutionnaire, ça se réalise. Ce n’est qu’après que le peuple se reconnaît en ce qui a été réalisé. C’est ce qui est arrivé avec le peuple burkinabè. Aujourd’hui, tout le monde pleure le président Thomas Sankara. Pourquoi ? Parce que les gens se sont rendu compte qu’il s’est donné corps et âme pour le bien-être du Burkina tout entier. »
Le coordonnateur de la Campagne Internationale Justice pour Sankara, le Sénégalais Aziz Fall a affirmé le 5 octobre 2007 que Thomas Sankara avait vraisemblablement été « victime d’un complot international et local » qui a abouti à sa mort, le 15 octobre 1987, à Ouagadougou. Faisant le parallèle avec Che Guevara, tué lui aussi à l’âge de 37 ans, comme Thomas Sankara, Aziz Fall voit dans la carrière politique de l’ancien chef de l’Etat burkinabé, « la dernière révolution africaine, interrompue dans le sang, alors qu’elle commençait à engranger des fruits promoteurs ».
Pour Katemawo Sanou, Thomas Sankara fut un modèle et un visionnaire. Sa mort injuste et cruelle n’a jamais été élucidée officiellement et il n’y a pas eu beaucoup d’échos, y compris à l’étranger, sur toutes les exactions du régime de Blaise Compaoré. Le deuil de SANKARA n’est pas encore fait au Burkina surtout dans la tête des jeunes. A sa mort cet homme avait conquis plus que les coeurs, l’esprit et l’âme des Burkinabés et des Africains. Il était une modèle de volonté, de détermination, d’honnêteté. Ces paroles guidaient ses actes et vice versa. Il avait réussi à responsabiliser les Burkinabés : compter d’abord sur soi-même avant de faire appel aux autres. Il avait compris les ressorts inéquitables de la dépendance de l’Afrique envers l’Occident. Et cela il voulait le changer. C’est pour cela qu’il est mort. Il a rêvé d’une Afrique en phase avec ses propres valeurs ouvertes sur le monde, une Afrique qui lève enfin la tête, une Afrique fière et reconnue à sa juste valeur.
Thomas Sankara a légué aux générations futures la verve et l’énergie de l’espoir, l’emblème de la probité et la conscience historique de l’inaliénabilité de la lutte contre toutes oppressions.
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