« Les voies du Seigneur sont impénétrables ; celles qui mènent à la mosquée, beaucoup moins », écrit Omar Benlaala dans La Barbe. Il est bien placé pour en parler. Au mitan des années 1990, alors que son horizon post-adolescent n’avait rien de lumineux, il a poussé la porte de la mosquée de Couronnes, en plein cœur de Paris. Il y a trouvé, dit-il, une forme de soulagement social – matière à relancer une vie embourbée. Il s’est alors immergé à corps perdu dans un islam fondamentaliste et prosélyte (mais apolitique et non-violent). Une parenthèse de quelques années, lors de laquelle il est devenu « l’un des premiers barbus de Paris », avant de se ranger des voitures et de se consacrer à une approche plus distanciée de la foi.
Dans la vie comme dans La Barbe, Omar Benlaala parle de cet épisode avec humour et recul. Pas d’angélisme, mais une lecture sociale de son parcours : si la mosquée a tant signifié pour lui, c’est parce qu’elle fut le seul endroit à l’accueillir lorsqu’il était paumé.
« Beaucoup lisent mon livre uniquement à l’aune de l’islam. La Barbe est pourtant d’abord le récit du passage à l’âge adulte d’un adolescent paumé. Mon histoire s’inscrit dans une recherche identitaire malaisée, dont la mosquée n’est qu’un aspect. Lorsque j’opte pour la barbe et la djellaba, c’est une réaction classique d’ado qui veut attirer l’attention et choquer ses parents. Il s’agit d’exister autrement dans un contexte social compliqué. Un peu comme un punk arborant la crête. Le message est limpide : Regardez-moi !
(…)
Ce que je ressens à l’époque ressemble sans doute à ce que vivent les jeunes se lançant dans l’engagement militant. Je vais à la rencontre des gens, j’essaye de les convaincre, et j’ai l’impression d’avoir mille choses à découvrir. Je commence même à faire des prêches à la mosquée. Résultat : en m’obligeant à structurer ma parole, l’islam structure progressivement ma pensée.
La mosquée se substitue ainsi à l’école, qui avait vite montré ses limites pour ceux de mon âge et de mon quartier. Et pour cause : j’ai vu tous les gamins de ma génération issus de l’immigration être envoyés en lycée professionnel. Ce fut aussi mon cas. J’étais pourtant le premier de ma classe en français, mais j’étais nul en maths. Si bien qu’on ne m’a pas laissé réaliser mon rêve : entrer au lycée et découvrir la philo. On m’a au contraire envoyé en CAP secrétariat après la troisième. Je l’ai vécu comme une humiliation. J’essayais de me construire, de me projeter, mais on ne me laissait que deux options : voyou ou secrétaire. Ça m’a fait mal. Et personne ne m’a assuré que je valais mieux que ça. Pas même mes parents, qui n’avaient pas les mots pour m’aider – ils sont quasiment analphabètes. Je n’avais aucune alternative, situation classique chez ceux qui traînent dans la rue. J’en ai depuis croisés beaucoup, de ces gamins vifs, intelligents, avec de la répartie… et complètement abandonnés.
>Ville et campagne : Causerie du lundi 14 octobre 19h
Au programme, une causerie libre sur le sujet Ville et Campagne. Après de rapides propos introductifs, chacun.e. est libre d’apporter ses idées, réactions, réflexions sur le sujet et les prises de parole des autres.
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