Lutte anti photovoltaïque : résistance et sabotages en série

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Montagne de Lure, Haute Provence. La lutte fait rage pour empêcher l’installation de centrales solaires industrielles. Bref historique de la bagarre, et petit éventail des méthodes utilisées.

Les paysages ne sont pas immuables, ils peuvent changer très vite et pas toujours pour le mieux. Les habitant.es de la région de la montagne de Lure (Haute Provence) en ont fait l’amer expérience.

Dans un décors tout droit sorti des romans de Giono, la forêt s’accroche aux collines et entoure les villages. Des bords des prés jusqu’aux sommets, on la croirait éternelle. Pourtant les vielles photos nous montrent qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Au XIXe siècle, la forêt était une des principales ressources de la région. Pour la vie domestique, l’industrie, la construction ou comme combustible, elle fut soumise à un rythme d’exploitation intense. Surpaturées et régulièrement rasées, les forêts s’étaient faites toutes petites, laissant les sols des collines se dessécher sous les chaleurs d’été, et s’éroder sous des pluies d’orages.
Les habitant.es de l’époque apprirent à leurs dépends que les ressources naturelles ne doivent pas être surexploitées. La région se vida de ses occupant.es, les chênes pubescent germèrent sur les vielles terrasses, les souches centenaires, bien qu’épuisées par des siècles de coupes rases, se développèrent dans les anciennes forêts. Par endroit, on planta des pins et des cèdres, réserves de bois pour les décennies à venir. Lentement mais sûrement, et bien que toujours exploitée par les locaux, la forêt reprit ses droits, recouvrit les flancs de la montagne de Lure, et recommença son long travail de protection des sols, de purification de l’air et de régulation du climat.

Hélas, l’humain n’apprend pas toujours de ses erreurs, et aujourd’hui c’est une autre menace qui vient inquiéter les forêts de la région.
Le coin est en effet devenu la cible privilégiée de forestiers d’un nouveau genre : des installateurs de centrales photovoltaïques. Ici les terres sont bien ensoleillées et peu chères. Les communes ne sont pas riches ; proposez leur un peu d’argent, et elles accepterons l’installation de champs de panneaux solaires. Tout serait parfait si les terres n’étaient pas déjà occupées par de la forêt… et par des gens qui la défendent !

Il y a quelque années, des locaux se sont rassemblés et ont pris conscience du mitage orquestré par une poignée de multinationales : rien que dans la zone de la montagne de Lure, plus de 1000ha de centrales photovoltaïque sont en projet, la plupart sur des forêts… qu’il faudra raser !
Cette clique de capitalistes n’ayant peur de rien, ils n’hésitent pas dans leur communication bien rodée à se faire passer pour des bienfaiteurs de l’humanité : grâce à l’énergie « verte » produite par les panneaux solaires, nous pourront continuer à consommer comme avant, tout en préservant l’avenir de nos enfants. Magique !
Sans parler du coût écologique de la fabrication des panneaux, de l’extractivisme et des enfants qui travaillent au fond des mines, couper des arbres pour « sauver » la planète semblerait absurde à n’importe qui. Leur discours devient abracadabrant lorsque l’on songe aux gigantesques zones industrielles et commerciales qui pourraient en être couvertes. Il semble clair qu’il est plus rentable de transformer des zones naturelles en centrales photovoltaïques que des zones déjà urbanisées.

En réponse à cette aberration, des collectifs se sont crées. Le premier en date, « Amilure » a déposé nombre de recours et autres procédures administratives. Autre collectif, « Elzeard Lure en Résistance » organise nombre de mobilisations et manifestations dans le but de sensibiliser à la préservation des forêts. Des tags et autocollants anti photovoltaïque dans les bois fleurissent dans la région, donnant de la visibilité à la lutte.

A l’automne 2022, un défrichage commence sur la commune de Cruis. Le projet est porté par la multinationale Canadienne Boralex, sur un terrain communal ayant été reboisé des années auparavant par des fonds publics, habitat de centaines d’espèces, dont certaines protégées.
Après plusieurs jours de blocage infructueux, les militant.es grimpent dans les derniers arbres pour empêcher leur abatage. Sûr de son impunité, et en présence de 3 gendarmes, un des bûcherons coupe l’arbre dans lequel est monté une militante (64 ans…). Celle-ci sera évacuée par les pompiers.
Sur son site internet, Boralex met en avant que le terrain a été détruit par un incendie il y a plus de 15 ans. Mais depuis toutes ces années, la forêt est revenue et avec elle tout ses habitants sauvages. Boralex ment effrontément, ce n’était pas un terrain dénudé mais une jeune forêt en reconstruction. En 2023, trois plaintes seront déposées par 30 associations pour dégradation d’habitats d’espèces protégées, et défrichement sans autorisation. En mai dernier, la Cour administrative d’appel donnera une belle victoire aux associations en reconnaissant l’illégalité de certaines dérogations accordées à Boralex. Hélas, c’est un peu tard, l’installation étant quasi terminée.

Les 17 ha de terre, à présent nus et stériles pour de longues années seront le théâtre de nombreux affrontements entre Boralex et ses mercenaires, et des manifestants déterminés. A l’automne 2023, l’aménagement du terrain reprend, et les blocages de machines se succéderont, menés par des groupes très divers, soutenus par ELZEARD, l’ANB, le GNSA, Extinction Rébellion et une ZAD du coin (la ZDAC). Les blocages freinent le chantier et produisent un surcoût considérable pour Boralex, qui sera contraint d’embaucher jour et nuit une équipe de vigiles assurant la surveillance de leur précieuses machines. Deux femmes ayant participé aux blocages (60 et 72 ans) ont été placées en garde à vue et mise sous contrôle judiciaire. Elles risquent jusqu’à deux ans de prison pour avoir entravé la marche des bulldozers détruisant le milieu. D’imposantes caméras seront plantées au milieu des zones, et quiconque tente d’y pénétrer a droit à un avertissement sonore et à un coup de projecteur dans la gueule ! De nombreuses caméras sont également installées dans les bois autour du site. Tremblez, Big Brother vous regarde !

Cette action surréaliste n’empêchera pas quelques actions clandestines. Cet automne, Boralex a fait déployer une clôture autour du chantier, contre l’intrusion des militants. Celle-ci a été régulièrement détruite de nuit par des personnes armées de pinces coupantes.
Un communiqué collectif est publié et fait état d’une impressionnante série de sabotage : « […] nous avons saccagé cinq de leurs sites photovoltaïques en coupant les câbles de milliers de panneaux solaires, saboté huit pelleteuses et bulldozers de chantier à Cruis, incendié le bâtiment abritant les onduleurs de la centrale de Montfort ainsi qu’un stock de panneaux solaires sur le site de Cruis et des bobines de câble électrique destinées à ce même chantier. Ces dégâts s’élèvent à plusieurs millions d’euros. » [1]

Après toute ces mésaventures, notre multinationale a choisi la fuite en avant : les ouvriers travaillent jour et nuit pour finir le chantier. Si ils y parviendront à force d’acharnement, il est moins sûr qu’ils parviennent à le faire fonctionner : au cours de l’année écoulée, la quasi totalité des centrales photovoltaïques de Boralex se sont faites saboter. Si l’information passe dans les médias, l’entreprise pousse son cynisme jusqu’à adopter une posture victimaire : « [nous] condamnons fermement ces actes de sabotage qui vont à l’encontre des valeurs de responsabilité, de durabilité et d’innovation que s’efforce de promouvoir Boralex » et ajoute « derrière les actes malveillant, c’est le développement de toute l’énergie solaire en région PACA qui est attaqué ». Ça tombe bien, de cette énergie solaire là, personne n’en veut !
Les articles parus dans les journaux renseignent sur la méthode des assaillants : coupe des petits câbles électriques des panneaux, et utilisation d’essence pour allumer des incendies. [2] Souvent, l’info ne passe pas dans les médias, la multinationale évite bien entendu de communiquer sur ces dégradations, semblant craindre une épidémie de sabotage. Au passage, Boralex donne l’adresse de ses sites de production sur internet, si le cœur vous en dit !

Mi novembre 2023, une manifestation a rassemblé 400 personnes à Cruis avec une marche jusqu’au chantier de la centrale photovoltaïque. Le mouvement a pris de l’ampleur et s’est élargi. Pour beaucoup, la vision de ces deux trous béants au milieu de la montagne, parcourus par des dizaines d’engins de chantier, où les arbres ont été remplacés par une forêt de structures métalliques, fut un choc. Le capitalisme a trouvé de nouvelles manières d’enrichir ceux qui le sont déjà, en accélérant toujours la destruction de ce qu’il reste de vie. C’en est fini du mythe de la croissance verte et des énergies propres. Le monde commence à lever le voile sur ces illusions vertes qu’on présente comme solution à tout nos maux, quand elles ne servent en réalité qu’à perpétuer ce même système.

Nous appelons à la résistance face à ces projets qui ne sont qu’une fuite en avant du capitalisme industriel. Face à la folie de notre société droguée aux énergies bon marché, il n’y a d’autre solution qu’une baisse drastique de notre consommation.

Cette histoire n’est pas finie, et au moment ou vous lisez ces lignes, de nouvelles personnes se lèvent contre la destruction du vivant.
Si vous aussi vous êtes indigné.e par l’emprise de ces multinationales sur les terres, vous n’êtes pas seul.e. Rejoignez un des groupes de lutte de votre région. Ensemble, à visage découvert le jour, ou masqué.es la nuit, par la banderole ou par la pince coupante, par la communication comme par l’action concrète, dans de grandes manifestations ou en petits groupes affinitaires, dans la résistance mais aussi dans la construction d’alternatives, faisons barrage à ce système destructeur.

Et que crève Boralex, pour l’exemple !

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  • Le 30 juin à 17:51, par

    Le 31 mai dernier la Cour administrative d’appel de Marseille a donné raison à l’association Amilure qui contestait la dérogation pour destruction de spécimens et d’habitats d’espèces protégées délivrée par le préfet du 04 à Boralex en 2020.

    Voir à ce sujet cet article sur le site d’Amilure, qui pointe vers d’autres sources.

    Ce n’est encore qu’une bataille mais la guerre continue...

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