« Dans cette rencontre, les hommes ne participeront pas aux tâches suivantes : locuteur, traducteur, exposant, porte-parole ; et ne représenteront personne aux assemblées plénières des 28, 29, 30, 31 décembre 2007. Le 1er janvier 2008, le cours normal reprendra. Pendant ces trois jours, ils peuvent uniquement travailler à faire à manger, garder et nettoyer le caracol, nettoyer les toilettes, s’occuper des enfants, apporter du bois pour le feu. »
C’est sous ces recommandations que se sont ouvertes les troisièmes rencontres des peuples zapatistes [1] avec les peuples du monde, rencontres des femmes.
- Des pancartes reprenant ce texte sont exposées devant chaque entrée du caracol [2]. À coté de ces pancartes, une autre annonce : « vous êtes en territoire zapatiste, ici, le gouvernement commande en obéissant. Les territoires zapatistes et le caracol 3 " la Garrucha" se solidarisent des luttes à Atenco et à Oaxaca : Liberté aux prisonniers politiques ! »
Après être passé.e par le bureau d’enregistrement et avoir récupéré son badge identifiant, chacun.e peut maintenant déambuler à sa guise dans le caracol. Un discours introduit la cérémonie d’ouverture de ces rencontres : hymne mexicain, puis zapatiste, paroles de bienvenue, et musique. L’heure est pour l’instant à la fête, en attendant les travaux du lendemain.
Le caracol de la Garrucha n’est pas si grand que ça, mais accueille pour l’occasion près de 5 000 personnes venues du Chiapas, du Mexique, et du monde entier. Sur la place centrale, en face de l’estrade, la place du village sert de piste de danse. Derrière, l’église fait face au terrain de basket. Autour de ces édifices, se répartissent les maisons des habitant.es du caracol.
À côté de l’estrade se trouve un lieu d’assemblée couvert, où vont se dérouler les assemblées plénières des trois prochains jours. Autour de cette structure, la Junta de Buen Gobierno (Junte du Bon Gouvernement), la commission d’information et le point internet accueillent les réclamations des arrivant.es, impatient.es de commencer les rencontres. “Il faut attendre demain” ; “on a beaucoup de travail”, “vous verrez demain”...
Au micro : “Nous appelons les personnes faisant partie de la presse libre et alternative à se réunir pour s’organiser afin de couvrir au mieux ces rencontres”. Divisés en commissions (photos, textes, audios, vidéos), des groupes se forment pour mettre en commun les ressources. Un accès internet est disponible 24h/24h, mais il faut se répartir les plages horaires pour ne pas faire exploser les bécanes. Durant les 3 jours, le petit cyber boui-boui accueillera les bousculades de pas mal d’Indymedia, de NarcoNews et autres alter-sites. Les rencontres sont par ailleurs retranscrites en temps réel par radio-streaming.
Un camping a été préparé pour les tentes igloo, qui s’agglutinent peu à peu. Les habitant.es du caracol ont bâti des douches et des toilettes en série. Pour ce qui est de la nourriture, chaque maison attenante à l’espace des rencontres prépare ses spécialités : tamales, riz au lait, café, oranges, … De la nourriture simple et économique, qui va nourrir le monde pendant 4 jours. Et entre chaque maison, se dressent des points de vente des articles zapatistes : briquets, tee-shirts, calendrier, foulards, agendas, cartes postales, etc.
La nuit est tombée, les gens rentrent peu à peu dans leurs cocons, et la pluie commence à tomber… Voilà pour la description d’ambiance, demain 10h, le travail commence.
- Le samedi matin, 10 heures pétantes, la salle d’assemblée est comble et quelques hommes tentent de se faufiler. Une commandante zapatiste rappelle : « toute personne qui n’est pas une femme est interdite dans la salle, même les comp@s de la presse. Il y a un espace dehors d’où vous pouvez écouter, mais cet espace-ci est réservé aux compañeras. Merci de respecter cet ordre. Et si vous ne savez pas quoi faire, il y a sûrement du travail qui vous attend quelque part, demandez autour de vous ». Na !
Chaque jour va se diviser en quatre plages horaire de deux heures où les commandantes zapatistes de chaque caracol vont exposer leurs manières de vivre et ce qui a changé depuis 1994 par thématiques :
La femme, et la femme de l’Autre Campagne.
Comment vivaient autrefois, et comment vivent à présent les femmes zapatistes.
Qu’ont-elles fait, comment ont-elle fait pour s’organiser afin d’obtenir leurs droits.
Quelles sont leurs responsabilités aujourd’hui.
Comment elles se soutiennent dans leur lutte.
À quels changements elles sont confrontées actuellement.
Comment elles luttent avec leurs filles et leurs fils zapatistes.
Le premier caracol à présenter ses paroles est celui qui nous accueille, celui de la Garrucha. Suivent ceux de Morelia, la Realidad, Oventic et Roberto Barrios.
Nous avons donc écouté, pendant trois jours, les paroles des commandantes zapatistes. Après chaque participation thématique, vingt minutes étaient réservées aux questions du public féminin. Le plus souvent, la réponse était simple, brève, mais toujours pleine de sens. Comme par exemple : « comment peut-on aider les zapatistes ? », « En luttant chez vous pour votre autonomie » ; ou encore : « comment devient-on milicienne de l’EZLN [3] ? », « le temps réservé aux questions est terminé ». Une interaction, tout de même, sur une question piège : « est-ce que l’on peut pratiquer l’avortement dans les caracoles zapatistes ? », « Non », nous répond une commandante. La foule commence à gronder : « mais pourquoi ? », et une autre commandante, après un temps, répond : « c’est à chacune de voir, il n’y a pas de règle uniforme là-dessus ».
Plus tard, le soir, pendant les animations musicales, un groupe de femmes viendra nous chanter « el recorrido del aborto » (le « recorrido » – rythme de musique – de l’avortement), commenté par ces mots : « vous avez bien compris que c’est un sujet délicat que de parler, même ici, de l’avortement, mais nous continuons d’essayer de faire avancer les choses, et peut-être que cette chanson nous y aidera ».
Si le coeur - et la maitrise de l’espagnol - vous en dit, un site internet mexicain propose à l’écoute toutes les participations de chaque caracol (1, 2, 3, 4, 5), ainsi que toutes les questions-réponses des temps de dialogue.
En proposer une synthèse serait assez délicat, tant les interventions ont été riches, même si un tantinet répétitives. Néanmoins, on peut tenter de transmettre les points centraux abordés par les commandantes :
En ce qui concerne la relation des femmes zapatistes avec les femmes de « l’autre campagne », il s’agit d’une écoute mutuelle permanente et réciproque, en diffusant les communiqués et en faisant des actions de soutien, en se tenant informée.
Les changements dans la vie des femmes zapatistes qui ont eu lieu depuis 14 ans nous ont été contés comme nombreux et concernent des secteurs divers. L’éducation, la santé, la vie familiale, le travail agricole, les transports, l’intégrité physique, ... Les hopitaux sont autonomes, c’est-à-dire qu’ils ne dépendent pas d’un budget gouvernemental ni d’une formation encadrée par le ministère de l’éducation nationale mexicaine. Il en est de même pour les écoles, qui vont du primaire au secondaire.
Cependant, le point culminant, le plus épineux et le plus partagé par tous les caracoles à trait aux violences physiques faites aux femmes.
En effet, chaque intervention a mentionné que le changement principal était que, maintenant, on ne les frappait plus, qu’elle pouvait décider du nombre d’enfants qu’elles désiraient, et qu’elles pouvaient se réunir entre elles pour prendre des décisions qui les concernaient (ce sont elles qui ont d’ailleurs fait tous les travaux nécessaires à l’accueil des 5 000 participants de ces rencontres).
En témoigne l’exemple de l’interdiction de l’alcool dans les communautés zapatistes, loi rédigée par des femmes et approuvée par tou-te-s. En témoigne également la loi révolutionnaire des femmes zapatistes.
Ou encore l’exemple des femmes ayant décidé de s’engager dans l’armée de libération nationale (EZLN), et à qui on a appris à lire, écrire, manier les armes, se nourrir peu mais correctement pour résister.
Après les passages des cinq caracoles, la dernière journée était réservée à la participation des délégations présentes, nationales et internationales (que l’on peut écouter ici.)
Le soir, le 31 décembre à minuit, se sont clôturées ces troisièmes rencontres intergalactiques. Les hommes peuvent reprendre la parole et tou-tes entonnent l’hymne mexicain et l’hymne zapatiste. Puis, après une minute de silence pour les morts du soulèvement armé de 1994, un salut militaire et le retrait des troupes.
- Car il ne faut pas oublier que l’EZLN est avant tout une armée, une armée qui lutte contre le gouvernement corrompu mexicain, pour la récupération des terres spoliées et pour l’autonomie du peuple indigène et des zapatistes. On l’avait un peu oublié avec « l’autre campagne » et le « zapatourisme », mais l’EZLN et ses bases d’appui (les caracoles), font face quotidiennement au harcèlement militaire et paramilitaire. Ainsi, pendant les rencontres, on a eu droit à la parade, matin et soir...
Dans le même temps, des attaques paramilitaires sévissaient dans un autre caracol, au nord de l’État du Chiapas. Une délégation internationale est d’ailleurs partie des rencontres pour faire un barrage humain dans la commune d’Agua Azul, où un habitant d’une communauté a été grièvement blessé.
En effet, la première année d’exercice du nouveau gouvernement mexicain de Felipe Calderòn a été marquée par une recrudescence de la violence militaire et paramilitaire au Chiapas (et dans d’autres États comme le Guerrero et le Oaxaca). Et cette escalade s’accompagne d’une forte perte de territoires du côté zapatistes...Les élections de ces municipalités ayant été regagnées par le PRI (Parti de la Révolution Institutionnel, resté au pouvoir 70 ans au Mexique).
Le rapport de force a donc l’air de basculer du côté de la répression et du gouvernement mexicain. Dans le même temps, il semblerait que le sous-commandant Marcos - absent pendant les rencontres - parle de reprendre les armes. Dans un document intitulé "L’alerte rouge zapatiste", Naomi Klein retranscrit les signes "d’une guerre qui approche".
Pour finir ce compte-rendu évidemment partiel et incomplet, je dirai que ce que j’ai pu apprendre de ces rencontres, très cérémoniales et formelles, c’est cette déclaration d’une commandante : « la meilleure manière de soutenir la lutte zapatiste n’est pas forcément de venir ici ou de consommer zapatiste, mais c’est bien plus de lutter chez vous, pour votre autonomie, et contre vos gouvernants, à vos manières, car c’est comme cela que le système global s’effondrera. Vous pourrez alors compter avec notre sincère appui ».
E.S.
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