Bref retour en arrière
L’ouverture des États Généraux à Versailles le 5 mai 1789 (les derniers dataient de 1614) met en difficulté le roi de France Louis XVI, même si ces États Généraux ont été convoqués à sa demande, surtout sous la pression du refus de payer les impôts, en particulier par la région du Dauphiné [1] : le royaume est en effet en proie à de graves difficultés financières avec son endettement chronique et l’impôt est écrasant.
La composition de ces États Généraux est assez disparate, avec ses 1139 représentants de trois ordres : la noblesse (270 députés dont 70 de la haute noblesse) le clergé (291 avec 200 curés et 91 évêques) et le tiers état (578 dont près la moitié sont avocats et pour le reste des bourgeois d’affaire) Les débats se focalisent rapidement sur la représentativité et sur la nécessité de réformes fiscales et sociales (le roi y étant opposé) N’oublions pas que pour voter, il fallait payer l’impôt !
La tradition voulait que les trois ordres soient représentés en nombre égal et votent séparément, ce qui assurait normalement aux deux ordres privilégiés une majorité automatique face au troisième. Bien que Louis XVI ait accordé fin 1788 le doublement des voix pour le tiers état et n’ait rien dit du mode de scrutin dans la future assemblée (les trois ordres réunis ou chacun séparément) la tension est forte. Le 17 juin, sur proposition de l’abbé Sieyès, les députés du tiers état, renforcés par quelques curés, se proclament Assemblée nationale et, non contents de rejeter la division en trois ordres, s’arrogent aussi le droit d’autoriser la perception des impôts. Le point de rupture est atteint et le roi de France ordonne la fermeture des lieux des débats, par la force si nécessaire. Les députés du tiers état décident alors le 20 juin 1789 de poursuivre leurs travaux (Serment du Jeu de Paume), et le 9 juillet 1789 de transformer les États Généraux en Assemblée Nationale Constituante. Cet acte met fin à l’absolutisme royal.
C’est dans un climat de peur et de famine que se déroule la prise de la Bastille. Climat où des troupes étrangères stationnées autour de Paris font craindre au peuple la répression. Après le renvoi le 11 juillet du ministre des finances Necker par le roi qui le rend responsable du désordre, la population craint la banqueroute de l’État. Les 12 et 13 juillet, c’est l’émeute dans Paris avec des scènes de pillage et d’incendie sans que les 5000 gardes suisses n’interviennent ni que la milice bourgeoise montée à la hâte par les électeurs du tiers état n’arrive à ramener le calme. Le matin du 14 juillet, après le pillage de l’arsenal de l’Hôtel des Invalides où la foule s’empare de 3000 fusils et d’une douzaine de canons (mais sans poudre) c’est dans la foulée, et dans la confusion, la prise de la prison de la Bastille par un millier d’émeutiers. Il y a une centaine de morts et autant de blessés du côté des assaillants, seulement 4 morts du côté de la garnison. La démolition de la Bastille commence le soir même.
Le roi prend peur, ses ministres commencent à plier bagages, la bourgeoisie bien installée craint aussi pour ses fortunes accumulées. Car malgré la visite du roi dès le 15 juillet à l’Assemblée Constitutante, le rappel de Necker le 16, et le même jour la création de la première commune de Paris par les électeurs du tiers état qui transforment la milice bourgeoise en Garde nationale, le calme reste précaire dans la capitale.
Dans les campagnes, le “bon peuple”, celui qui par exemple travaille la terre et n’en tire même pas toujours de quoi se nourrir, en a assez d’être écrasé d’impôts. La révolte gronde depuis déjà plusieurs mois. La nouvelle de la prise de la Bastille se répand et la crainte d’une forte réaction nobiliaire avec la propagation de rumeurs quant-à un "complot aristocratique" provoque "la Grande Peur" : les attaques de châteaux se multiplient, les paysans brûlent les archives, en particulier les "terriers" qui fixent les droits et les propriétés seigneuriales. En route, les révoltes se muent en Révolution et l’Assemblée Constituante veut éviter sa progression. Contre les bourgeois qui en appellent à la répression, les nobles, plus au courant de la situation, prônent plutôt l’apaisement. Mais cette fois, il y aura de la réforme et pas de la réformette !
"L’abolition des privilèges"
Le 4 août 1789 à partir de 20 h, à l’Assemblée constituante, il y a d’abord des discussions autour du rapport de l’avocat Target sur les moyens d’arrêter les troubles dans les campagnes, et l’Assemblée semble disposée à voter ce rapport qui stipule que les citoyens doivent respecter la propriété et continuer à payer redevances et impôts.
Mais le vicomte de Noailles, dans une première intervention, propose généreusement d’abolir les droits féodaux (il en est dépourvu !) Lui succède le duc d’Aiguillon, le plus riche seigneur, après le roi, en propriétés féodales. Il se dit plein de scrupules à l’idée que l’assemblée s’apprête à condamner ceux qui attaquent les châteaux et, évoquant « le malheureux cultivateur, soumis au reste barbare des lois féodales », propose, lui, « d’établir cette égalité de droits qui doit exister entre les hommes » et préconise non l’abolition des droits féodaux, mais un « juste remboursement » évalué à 30 fois le remboursement d’une année. Propositions auxquelles se rallient nobles et grands bourgeois. Se succèdent alors les interventions courtes mais enflammées et qui font frémir la salle de deux députés bretons du tiers état, dont l’un, Le Guen de Kerangal, évoque les usages anciens et sanglants du « monstre dévorant de la féodalité. » On s’apprête cependant à passer enfin au vote : égalité fiscale, rachat des droits pesant sur les biens, abolition de ceux qui sont vexatoires et qui portent sur les personnes. Tout le monde pense que la séance va s’achever. Il est près de 23 h.
C’est alors que le marquis de Foucaud Lardimalie, député du Périgord, se lève et déclare qu’il convient maintenant de s’en prendre aux grands seigneurs, ces courtisans qui touchent des pensions et des traitements considérables de la cour. Et tout bascule : l’enthousiasme et la surenchère gagnent, submergent l’assemblée. Le vicomte de Beauharnais propose que les peines soient identiques pour les nobles et les roturiers. Un autre demande la justice gratuite, un troisième l’abolition des justices seigneuriales. L’évêque de Chartres propose le sacrifice du droit de chasse, celui de Nancy renonce aux biens de l’Église. Le duc de la Rochefoucauld demande des adoucissements pour l’esclavage des noirs, etc. Il est à noter que chacun a surtout tendance à proposer tel ou tel sacrifice qui concerne plutôt... l’autre. Mais dans un climat d’exaltation euphorique, tout le monde approuve ... Enfin, à la suite du Dauphiné, toutes les provinces, puis toutes les villes en viennent à renoncer à leurs privilèges.
Il est près de 2 h du matin. Le président Le Chapelier récapitule les acquis de la nuit, liste impressionnante qui met à bas définitivement l’Ancien Régime. Un vote global a lieu. Approbation à l’unanimité ! La messe est dite (l’archevêque de Paris a même fait adopter un projet de Te Deum dans toutes les paroisses et églises du royaume) La séance se termine tardivement aux cris de « Vive le roi, restaurateur de la liberté française ! »...
C’est donc dans la nuit du 4 au 5 août 1789, à 2h du matin, après 6 h de discussions passionnées, qu’est proclamée à l’unanimité l’abolition de la féodalité, celle des trois ordres et de leurs particularités, notamment fiscale, militaire et judiciaire, mais aussi l’unification du territoire national (jusqu’alors, chaque commune, paroisse, province avait ses propres privilèges) Vraie révolution donc. Mais il faut noter que les députés vont se raviser dans les jours suivants. Les droits résultant d’un « contrat » passé entre le propriétaire du sol et l’exploitant direct (cens, champart, rentes [2]) subsistent mais peuvent être rachetés. Ainsi seuls peuvent se libérer totalement les paysans les plus riches. La désillusion sera grande dans les campagnes et les troubles vont perdurer jusqu’en 1792.
Le décret du 11 août 1789 de l’Assemblée nationale avalise la majeure partie des décisions prises dans la nuit du 4 août et entérine donc la fin du régime féodal. Sa lecture [3] enseigne beaucoup sur l’état d’esprit des députés de l’époque.
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