Ce vendredi, le tribunal administratif de Lyon a rejeté un « référé-liberté » déposé mardi par une femme qui participe régulièrement aux manifestations des « gilets jaunes » et qui a été blessée à la jambe par un tir de la police. Avec son avocat, elle demandait au tribunal d’enjoindre au préfet de procéder au retrait des armes dites « de force intermédiaire » les plus dangereuses, en particulier des lanceurs de balles de défense « LBD 40 » et grenades de désencerclement, mais aussi de s’abstenir de faire participer au dispositif de maintien de l’ordre toutes unités non spécialisées dans ces opérations (toutes unités sauf CRS et gendarmes mobiles). Sans surprise, le tribunal a rejeté toutes ces demandes en estimant que « les quelques exemples avancés de mauvaise utilisation de ces armes à Lyon ne sauraient établir l’allégation selon laquelle la réglementation de leur usage est enfreinte de façon habituelle ». Il a suffi à la préfecture de nier l’évidence pour convaincre les juges : les dysfonctionnements rapportés au soutien de la requête étaient nombreux, et certains parfaitement établis.
Les fonctionnaires les moins formés mis en avant sur le terrain
D’abord, il ressort clairement d’une enquête menée par le journal le Monde sur le plan national que, depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », ces dernières forces, qui incluent notamment les brigades intervenant en tenue civile (brigades anti-criminalité - BAC et semble-t-il, brigades de répression et d’intervention – BRI), sont responsables à elles seules des deux tiers des tirs de lanceurs de balles dit « de défense » (LBD). Plus grave : selon l’information du Monde en date du 8 février, jamais démentie par le ministère de l’Intérieur, ces forces sont mises en cause dans la quasi-totalité des procédures en cours à l’inspection générale de la police et de la gendarmerie (116 sur 118). De nombreuses sources policières pointent d’ailleurs leur manque de formation au maintien de l’ordre. Ce constat parfaitement documenté n’empêche pas le préfet du Rhône de mettre ces unités, les moins formées et les plus susceptibles d’atteintes aux droits et à l’intégrité des manifestant-e-s, en avant dans le dispositif de maintien de l’ordre.
Usage des armes sur des groupes pacifiques
Ainsi, la requérante a été blessée à l’arrière de la jambe par un tir de projectile (sans doute un lanceur de balles), samedi 9 février rue de Marseille alors qu’elle se trouvait dos aux policiers, à une distance de plus de soixante mètres. Malgré la grande distance, le choc lui a occasionné un hématome d’une quarantaine de centimètres de hauteur et une incapacité partielle de travail de 10 jours, « sous réserve de complications ». Par ailleurs, de très nombreux cas sont allégués par des manifestant-e-s, et certains attestés par la presse, de tirs de « lanceurs de balle » sur des personnes immobiles ou parfaitement pacifiques. Il en va de même pour les personnes régulièrement visées à la tête par ces armes. Depuis le début du mouvement à Lyon, deux personnes au moins ont été blessées au visage. Là encore, la préfecture nie l’évidence, en jurant la main sur le cœur qu’à « aucun moment les armes de force intermédiaire ne sont utilisées à l’encontre de manifestants, mêmes véhéments, si ces derniers ne se rendent pas coupables de violences physiques ». En outre, la prise à partie des « street medics » par les forces de l’ordre (tirs de lacrymogènes, intimidations) a été régulièrement rapportée dans les récits du mouvement, y compris dans la presse.
Manifestation déclarée dispersée par la police
Le 26 janvier, un journaliste a pu constater qu’ « un « street medic » s’est fait frapper par un policier alors qu’il portait secours sur la personne à terre. Ce jour-là, le cortège qui avait été déclaré en préfecture, a été dispersé par deux fois en amont de l’Hôtel de police de Montluc et de la place Bellecour. Ces deux lieux figuraient pourtant dans le parcours négocié avec les forces de l’ordre. De façon contradictoire, le préfet avait tout à la fois validé ce parcours et ordonné aux forces de l’ordre de « limiter l’accès à l’hyper centre ». De manière générale, des tirs de gaz lacrymogènes sur des cortèges ou des groupes pacifiques ont été attestés de nombreuses fois, entraînant souvent des heurts avec les manifestant-e-s. Ainsi, le dispositif de maintien de l’ordre produit régulièrement la violence qu’il est censé prévenir. Jeudi dernier, le Parlement européen a d’ailleurs rappelé à la France que « la violence contre des manifestants pacifiques ne peut jamais constituer une solution ni dans un débat ni en politique ». Le tribunal n’ a pas admis quant à lui que "cette violence résulterait de la gestion du maintien de l’ordre par les services de l’État".
Policiers sans brassard en dépit des règles en vigueur
Interrogé le 18 janvier dernier sur les blessures causées par les forces de l’ordre à des gilets jaunes, le ministre de l’Intérieur a répondu : « Il peut arriver que des armes de défense comme le LBD soient mal utilisées, (...) dans ce cas nous faisons des enquêtes (...) Chaque fois qu’il y a une plainte, elle fait l’objet d’une instruction, et c’est normal. Nous devons l’exemplarité et la transparence ». A Lyon, en matière de transparence, il y a encore beaucoup à faire : nombre de fonctionnaires en civil aménagent leur anonymat en ôtant leur brassard et leur matricule, dont le port constitue pourtant une obligation depuis 2014. De plus, ces fonctionnaires sont fréquemment pour ne pas dire systématiquement cagoulés. Ce fait, documenté de façon constante par les nombreuses photos du mouvement, caractérise une inertie très préoccupante de la hiérarchie policière. A l’audience qui s’est tenue jeudi, la préfecture a persisté à nier l’évidence en estimant que « leur tenue et leur équipement de protection répondent aux prescriptions réglementaires ». Quant à eux, les juges ont retenu que « ces circonstances ne démontrent pas, par elle-mêmes, une intention du préfet du Rhône » de ne pas respecter les règles d’usage des armes « ou d’en tolérer la méconnaissance par les agents placés sous son autorité ». Circulez !
Maintien de l’ordre à visée politique
La mise en avant des forces non spécialisées dans le maintien de l’ordre n’a qu’un but : multiplier les interpellations. Or cet objectif est clairement politique, puisque la préfecture communique chaque soir le nombre d’interpellés, refusant en revanche de communiquer le chiffre des manifestant-e-s. Ce procédé classique, visant à discréditer le mouvement en focalisant le discours sur les « heurts » et les « violences », ne résiste pourtant pas à l’analyse. En nombre de blessés, l’acte X fut l’épisode le plus marquant, avec 10 policiers atteints, selon la préfecture. Ce chiffre dénote une violence qui ne peut cependant être qualifiée d’exceptionnelle en situation de maintien de l’ordre. Pour ne prendre qu’un exemple, le journal Lyonmag rapportait que 11 policiers avaient été blessés à l’occasion du Mondial de football, pour la seule soirée du 16 juillet 2018.
L’ensemble des faits précédents constituent autant d’atteintes au droit de manifester. Cette situation est d’autant plus grave qu’en dépit de la gravité des faits rapportés, le juge administratif refuse d’apporter une quelconque protection effective aux manifestant-e-s. Nous appelons les médias, les organisations de défense des droits humains, les manifestant-e-s et notamment les « street medics » à s’organiser pour recenser les blessures et les manquements observés lors des cortèges.
Le Collectif les Eclopées de Bellecour
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