Nous sommes au mois de mars et comme chaque année, l’Israeli Apartheid Week (IAW) se tient avec l’organisation d’une série d’événements à travers le monde. Cette campagne internationale annuelle vise à démontrer que l’Etat israélien repose sur un système d’apartheid opprimant le peuple palestinien. Que se passe-t-il en France ? Dans ce pays qui se vante de faire jouir pleinement ses citoyen-ne-s de toutes les libertés fondamentales et qui aime se présenter comme le « pays des droits de l’Homme », ce même pays qui incite d’autres à suivre son modèle démocratique et à prendre la parole au nom de la liberté d’expression, nous avons été censuré-e-s.
L’histoire se répète ; déjà à Lyon, le 2 mars 2012, avec nos intervenants Mbuyiseni Ndlozi et Wassim Ghantous venus respectivement d’Afrique du Sud et de Palestine, nous nous retrouvions à la rue où nous donnions coûte que coûte notre conférence « Israël : un Etat d’apartheid ? ». L’Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Lyon, qui s’était engagé à nous prêter ses locaux pour le 2 mars le temps de notre conférence, avait cédé à des pressions (dont nous ne savons toujours pas, au jour d’aujourd’hui, d’où elles venaient) en décidant d’évacuer ses propres étudiant-e-s de ses locaux et de fermer l’institut sans même daigner nous prévenir.
Malgré tout, nous avons une nouvelle fois tenté cette année de faire une demande officielle de salle à l’IEP pour une conférence avec Ivar Ekeland, mathématicien réputé, ex-Président de l’université Paris-Dauphine et président de l’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP). Après un long échange de mails, l’IEP a décidé de refuser d’accueillir notre conférence intitulée « Les relations universitaires franco-israéliennes : enjeux et perspectives ». Motif de ce refus ? « La thématique est jugée potentiellement conflictuelle ».
Cette interdiction et le motif qui l’accompagne sont incompréhensibles. Que peut donc bien sous-entendre l’emploi de l’expression « thématique conflictuelle » ? L’IEP n’ayant à ce jour pas daigné répondre à cette question, nous nous hasardons à proposer ici notre propre analyse.
Soit il renvoie à un trouble potentiel à l’ordre public, un motif qui seul justifie l’interdiction d’une conférence. Cependant, nous avons rappelé à la direction de l’IEP que deux conférences organisées dans le cadre de l’IAW ont pu se tenir sans heurts au début du mois de mars. L’une s’est déroulée à l’université Paris 8, tandis que la seconde, intitulée « Apartheid israélien et luttes palestiniennes », s’est tenue à Sciences Po Paris. L’IEP de Lyon lui-même avait accueilli dans ses locaux une conférence intitulée « Palestine : étudier et enseigner sous la colonisation » que nous avions organisée en octobre 2013. Des dizaines d’autres conférences de ce type se tiennent régulièrement dans les universités françaises depuis plusieurs années, sans qu’il n’y ait eu à déplorer de « troubles à l’ordre public ».
Soit il insinue que l’organisation d’une conférence ayant pour thème la colonisation israélienne en Palestine et le rôle des universités françaises face à cette situation provoquerait un débat qui risque d’opposer des avis potentiellement contradictoires et de fournir une réflexion critique sur l’Etat d’Israël. Or, nous avons ici la définition même d’un débat, qu’une université se doit d’encourager afin d’aboutir à la formation d’esprits informés et critiques sur tout ce qui s’est passé et se passe dans le monde. Mais le cadre universitaire ne semble plus être l’espace d’analyses, de débats et de constructions politiques qu’il devrait être.
Est-ce qu’étudier le politique doit se limiter à une analyse froide et utilitariste des faits, des dates et des intérêts de chaque protagoniste ? Ou est-ce que c’est réfléchir de manière critique à la pertinence et la légitimité de ces faits, dates et intérêts ? Est-ce que c’est analyser et parler d’hommes politiques, de partis et d’Etats, ou est-ce que c’est aussi savoir se placer du point de vue des peuples qui les subissent, les suivent ou les rejettent ?
La direction de l’IEP nous a aussi proposé de les rencontrer pour « en parler plus en détails ». Mais nous ne voulons plus discuter avec les censeurs. Nous avions déjà rencontré le directeur de l’IEP en mars 2012 après avoir été contraint-e-s de faire notre conférence en pleine rue. Cela ne nous avait rien apporté et n’avait rien changé. Pour preuve : deux ans après nous sommes à nouveau censuré-e-s.
Il est intéressant de noter que l’IEP propose depuis plusieurs années un diplôme spécialisé sur le monde arabe contemporain, dans lequel le processus historique de colonisation de la Palestine par Israël est abordé. En outre, l’IEP n’a jusqu’à présent aucun partenariat avec une université israélienne. Au contraire, il a entretenu pendant plus de cinq ans un jumelage avec l’université palestinienne de Birzeit, en Cisjordanie. Ces faits paraissent contradictoires au regard de l’interdiction de notre conférence. En effet, ils indiquent que la direction de l’IEP a une connaissance particulièrement poussée de la situation vécue par les Palestinien-ne-s. Ce n’est donc pas par ignorance mais bel et bien par un choix délibéré que la conférence a été interdite. Nous ne pensons pas que ce choix de la part de la direction de l’IEP est guidé par un quelconque « pro-sionisme », mais plutôt par conformisme, par lâcheté et par peur de se voir catégorisé « anti-israélien ». Ce mal semble répandu au sein des universités françaises, dressant en véritable tabou toute réflexion critique sur la situation en Israël/Palestine qui pourrait servir de base à un engagement politique.
A présent, il s’agit moins de crier contre une censure que de s’organiser pour continuer à diffuser cette dénonciation qui dérange tant les défenseurs du sionisme.
Oui, l’Etat d’Israël est un Etat d’apartheid et la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) est un des outils dont le mouvement de solidarité peut se saisir pour soutenir les Palestinien-ne-s. Le système universitaire israélien participe pleinement à la politique coloniale d’Israël ; c’est pourquoi la campagne BDS s’est dotée d’un volet sur les coopérations universitaires entre Israël et le reste du monde.
Oui, en se liant avec des universités israéliennes, les universités françaises soutiennent la colonisation de la Palestine, elles participent à banaliser, à normaliser les relations avec la force occupante. A partir de là, l’université est un espace légitime d’engagement et de lutte.
Oui, il ne s’agit pas seulement d’analyser de manière détachée le régime d’apartheid israélien mais bien de construire une réflexion politique propre à porter une solidarité concrète avec le peuple palestinien. Nous ne voulons pas être des « experts » dont les recherches servent d’abord les dominant-e-s, nous voulons produire des savoirs dont nous pourrons nous saisir nous-mêmes pour agir politiquement.
La lutte continue.
pour l’auto-détermination du peuple palestinien et le droit au retour.
contre l’apartheid israélien et le racisme d’Etat dans nos sociétés.
contre les systèmes coloniaux, en Palestine comme ailleurs.
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