Depuis l’annonce des scores du RN et la dissolution de l’assemblée nationale, les élections semblent être l’enjeu principal et la politique du « moindre mal » : la stratégie ultime.
Des influenceur.euses Instagram qui appellent à faire barrage à l’extrême-droite, les Républicains qui se déchirent, en passant par l’union de la gauche, tout semble indiquer que nous vivons une séquence politique hors normes nécessitant une réadaptation de nos luttes.
D’un point de vue anarchiste, cette arrivée, imminente et prévisible, du RN au gouvernement ne nous surprend pas. Elle ne doit pas être dédramatisée pour autant. Au contraire, nous pensons que nous devons empêcher à tout prix une telle éventualité mais pas dans une logique électoraliste.
L’adhésion aux discours du RN et le succès électoral qui en résulte n’est pas qu’une victoire de nos ennemis politiques. C’est aussi une défaite révolutionnaire. Mais cela peut être l’occasion de faire une autocritique salutaire et de se poser les bonnes questions. Le milieu anarchiste doit combattre l’extrême-droite mais aussi rendre envisageable un monde nouveau et des nouveaux possibles.
Et si on essayait de sortir du piège ? Loin des logiques et des urgences électoralistes, il est temps de faire (re)vivre des perspectives anarchistes à long terme.
L’extrême droite est un positionnement idéologique sur le spectre politique. Il ne s’agit pas juste d’un parti, c’est une idéologie à part entière. Elle peut prendre plusieurs formes mais a pour dénominateur commun la volonté d’un état nation autoritaire, le contrôle sur les corps, sur l’environnement et le rejet de tout ce qui n’entre pas dans sa définition réactionnaire et conservatrice.
Sortir du piège électoral, c’est donc tout d’abord considérer l’extrême droite comme une idéologie dans sa globalité. Pas juste lorsque le parti politique qui la représente arrive au gouvernement. Les scores électoraux sont des indicateurs de la « lepenisation des esprits » mais ne sont pas la seule manifestation de son idéologie.
Depuis le passage de Le Pen père au second tour en 2002, on ne peut que constater une montée exponentielle des scores électoraux du Front puis Rassemblement National.
Hors agenda électoral, les idées d’extrême droite se banalisent et infusent à peu près partout. Elles deviennent acceptables et entendables par une majorité de votant.es en France et dans toute l’Europe. Année après années, l’extrême-droite gagne du terrain, grignote, gangrène, ronge, rogne et arrive finalement proche d’avoir sa place officielle au gouvernement. L’extrême-droite ce n’est pas que le RN et n’a pas attendu des élections européennes pour être « aux portes du pouvoir ».
Dire que l’extrême-droite est au portes du pouvoir est faux. Cette menace, répétée à outrance pour réveiller les électeur.ices endormi.es, induit que le pouvoir n’a jamais été en lien avec l’extrême-droite et lui a toujours fermé ses portes. Bien au contraire, les portes du pouvoir ont toujours été ouvertes à leurs idées.
Les idées d’extrême-droite gouvernent déjà et depuis longtemps. Le RN au gouvernement ne sera qu’une accélération de la politique raciste, coloniale, antisociale, autoritaire, écocidaire, patriarcale, validiste, etc dont Macron n’a jamais été le rempart mais l’accélérateur.
Macron a déjà préparé le terrain pour un état nation autoritaire. Les lois antisociales passées en force avec l’abus de 49.3, les lois racistes, les lois transphobes, les lois validistes, la répression policière, etc.. sont déjà des projets conservateurs et réactionnaires. Il n’y a aucun cordon sanitaire entre le parti de Macron, celui de Ciotti et ceux de Zemmour ou Bardella. L’union des droites n’a jamais été aussi palpable. Sans nier qu’un gouvernement Macron ou un gouvernement Le Pen obéisse à des logiques différentes, leur objectifs restent similaires : la défense des classes bourgeoises, la destruction des minorités et de l’environnement.
« Faire barrage à l’extrême-droite », ce n’est donc pas juste se concentrer sur ce qui rend possible des victoires électorales de partis politiques. C’est envisager le système dans lequel nous vivons comme un ensemble de stratégies, de mécanismes et de schémas qui s’auto-alimentent. L’extrême-droite n’est pas un monstre qui grossit seul dans son coin. C’est un produit de ce système. Il en est même le bouclier dans sa forme la plus radicale. Les forces réactionnaires et conservatrices de ce pays sont les gardiens utiles de ce système malade.
Si nous refusons de voir le problème dans sa globalité alors nous ne pouvons pas en traiter les causes et seulement deux ou trois conséquences par ci, par là. Et nous perdons forcément en radicalité et efficacité.
C’est pourquoi penser le vote comme une stratégie de lutte à part entière est impossible. La gauche/l’extrême-gauche capable d’arriver au pouvoir vont peut être ralentir le rouleau compresseur capitaliste mais en parallèle vont continuer de le nourrir inévitablement.
On peut considérer le vote comme un outil ou un moyen à disposition, à la seule condition qu’il s’inscrive dans une stratégie au long cours. Le vote et par là, une victoire électorale de la gauche quel qu’elle soit, pourrait être un moyen de ralentir le pire mais certainement pas amener la rupture avec le capitalisme dont nous avons besoin. L’idée que le vote se suffit à lui même, s’il est agrémenté d’un peu de réformes sociales de temps en temps est une illusion et un contre-sens.Le système électoral n’est qu’un écran de fumée qui tente de rendre inaudible toute contestation radicale.
Il faut aller bien au-delà des urnes et proposer de réelles alternatives à l’État et à la société capitaliste. Il faut détruire le pouvoir et l’autorité sous sa forme ultime dont les gouvernement sont les gardiens.
Il ne sert à rien de combattre le RN ou Reconquête comme des exceptions ou des branches malades à scier sur l’arbre de la politique française. C’est l’idéologie au pouvoir et leur vision du monde mortifère dans sa globalité qu’il faut combattre.
Il serait, par exemple, trop facile de résumer l’extrême-droite au simple racisme même s’il en est une composante importante.
La France est un pays de racistes, comme la plupart des pays européens surtout ceux avec un long historique colonial. MAIS ça n’explique pas entièrement la droitisation de la société. La France était aussi un pays raciste et colonial en 1981, elle l’était également en 2002 et l’est toujours en 2024.
Il serait réducteur de l’analyser seulement à travers une seule de ses manifestations. D’autant plus que la stratégie électorale du RN est de dédiaboliser ses discours pour présenter une image « respectable » au point de brouiller les lignes. En tant que militant.es anarchistes et antifascistes nous devons remettre les lignes à leur place et combattre tous les discours d’extrême-droite qu’ils soient racistes, transphobes, complotistes, autoritaires, impérialistes, réactionnaires, conservateurs, homophobes, validiste etc.
Il ne peut y avoir de lutte contre l’islamophobie sans lutte contre le patriarcat, il ne peut y avoir de lutte anti-impérialiste sans lutte contre la bourgeoisie, pas de lutte contre l’antisémitisme sans celle contre la transphobie. Pas de lutte contre le travail sans lutte contre le validisme.
Les oppressions qu’induisent le pouvoir et ses rapports de domination sont les fruits qui viennent du même arbre. Même si les oppressions poussent parfois sur des branches différentes, il faut tout couper à la racine.
Nous ne pouvons pas non plus refuser de voir ses influences dans nos propres rangs. Tel le nuage de Tchernobyl, les idées d’extrême droite ne s’arrêtent pas à la frontière avec nos milieux militants. Un vrai front contre l’extrême-droite supposerait de combattre ses mécanismes, ses stratégies et ses idées peu importe où elle s’infiltre. De la combattre dans son ensemble comme un système idéologique et un champ de bataille culturel. Les idées complotistes, confusionnistes, réacs, masculinistes, transphobes, islamophobes, antisémites, etc.. sont bien installées chez nous aussi. Les logiques autoritaires et la reproduction des oppressions dans nos milieux sont des obstacles à abolir au-delà de la performativité. Nous devons opposer un front idéologique anarchiste claire qui sort des logiques de pouvoir électorales, politiques ou individuelles. Nous devons reprogrammer nos imaginaires et dépasser le cadre restreint dans lequel nous contient le capitalisme et faire de l’anarchisme une menace à nouveau.
En 1989 le mur de Berlin tombe. C’est la fin des 2 blocs :capitaliste VS soviétique. Ces derniers n’ont rien de réellement révolutionnaires. Ce sont deux visions du monde autoritaires et impérialistes. Mais dans l’imaginaire collectif de l’époque, le capitalisme n’était pas hégémonique.
Aujourd’hui il l’est. Et plus le capitalisme triomphe, plus la révolution recule. Le système capitaliste est de plus en plus pervers, violent et sans pitié. La politique actuelle néolibérale de Macron en France est certainement l’exemple le plus virulent de ce triomphe.
Dur alors d’imaginer qu’un autre monde est possible. Dur de penser à l’avenir dans un champs de ruines.
Le libéralisme et l’individualisme à outrance ont rendu la critique du capitalisme difficile. Tout n’est plus que divertissement. Même nos luttes se sont retrouvés broyé par la machine libérale qui les recrachent tièdes, fades, confuses. La dépolitisation constante et le confusionnisme règnent en maître.
A l’extrême-gauche et chez les révolutionnaires anarchistes nous perdons en radicalité et en pertinence. Nos colères sont toujours là mais souvent elles bouillonnent dans un tourbillon sans objectifs, sans cadre de luttes solides et pérennes, sans moyens. Et finalement la lutte devient une fin en soi impossible à dépasser.
A la différence de l’extrême-droite qui joue sur la peur, la camp anarchiste capitalise sur la rage. Mais notre colère ne suffit pas. L’échec à fragiliser et déstabiliser les pouvoirs en place vient aussi de nos manques de propositions politiques concrètes.
Nos collectifs, orgas, groupes affinitaires militants ont finit par se concentrer et se calquer sur l’agenda du gouvernement. Même lors des fortes mobilisations spectaculaires (loi travail, gilets jaunes, réforme des retraites) nous n’avons pas réussi à construire un front commun avec un projet de société alternative. Nos révoltes se situent entre la rage de détruire ce monde et la volonté de reconstruire sur des cendres.
Le fantasme d’un grand soir, d’une insurrection ou d’une révolution qui fédérerait une majorité acquises à des idéaux autogestionnaire sans état, sans police et sans prison, nous semble de plus en plus difficile à envisager dans le contexte actuel.
Nous avons failli à imaginer collectivement un autre futur. Nous avons failli, nous militant.es anarchistes, autonomes, antiautoritaires à nous asseoir autour d’une table et soumettre des propositions concrètes pour nos (sur)vies sur du long terme. Les squats, la chource, la redistribution, les autoreducs, l’autodéfense collective, le soin communautaire, etc : nos initiatives sont belles mais nos victoires sont petites.
Détruire l’état et le pouvoir ne peut se faire sans un réel projet politique possible.
Comment répondons nous aux besoins d’autonomie alimentaire ? D’autodéfense sanitaire ? De logement ? De sécurité ? Qu’avons nous à proposer d’autres que « nik Macron et son monde » ?
Comment répondre dès aujourd’hui à l’urgence sociale ?
Les réponses anarchistes existent depuis longtemps. Des réponses théoriques et des exemples pratiques où vivre sans état devient possible. Mais nous avons besoin d’ici et maintenant. Nous devons adapter ces réponses localement car on ne pourra pas apporter les mêmes stratégies en Bretagne, à Paris, à Marseille ou à Lyon.
Nous devons adapter ces réponses à l’urgence climatique et aux nouvelles technologies sécuritaires qui nous répriment. Nous devons anticiper et avoir une vision et des objectifs à long terme. Le capitalisme c’est la culture du vide. C’est un système de l’immédiateté et de l’individualisme. Face à ce néant déshumanisant nous devrons renforcer et réorganiser nos moyens de lutte collective. Nous avons besoin de structures et de cadres de lutte efficaces ancrées dans la réalité. Sortir des marges et des postures radicales qui ne parlent qu’à nous-mêmes. Nous devons réactualiser nos outils d’information et de communication face à la mainmise de l’état sur la presse. Nous devrons créer des mutuelles autogérées face à la privatisation du système de santé. Nous devons nous protéger entre nous face à la répression et notamment les plus impacté.es, les plus vulnérables. Nous devons nous former et transmettre les savoir-faire et les compétences à disposition. Créer un rapport de force anarcho-syndicaliste avec les patron.nes, occuper les lieux de travail. Enrayer l’économie. Créer une sociabilité communautaire face à l’isolement et à l’individualisme. Nous devons renforcer nos réseaux de solidarité à l’international.
Nous devons ET combattre l’idéologie d’extrême-droite et par extension l’État et le libéralisme partout où ils s’infiltrent ET imaginer un projet de société révolutionnaire, solidaire, égalitaire et autogestionnaire concret.
Combattre et (re)construire des alternatives ici et maintenant et sortir du piège de la social-démocratie.
Make anarchism a threat again
CANEVA
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