Depuis 2007, le projet de Center Parcs de Roybon est en but à une opposition. En 2014 et la tentative de début des travaux, le site a été occupé de façon permanente. Après 13 années de lutte physique, juridique et politique (documentées sur Rebellyon), le projet a été abandonné en juillet 2020, et l’occupation de la forêt a été expulsée en octobre dernier.
Ce dernier numéro de la revue De tout bois revient sur l’abandon du projet, tire un bilan de cette lutte de 13 ans et propose des pistes de réflexions pour les luttes à venir. Parmi les questions soulevées : Pourquoi Pierre & Vacances a-t-il abandonné son projet ? Dans quelle mesure peut-on parler de victoire ? Comment faire mémoire et transmettre des expériences ? Quel est le rôle d’un média de lutte ? Comment rejoint-on une lutte comme celle-ci ? Quelle articulation entre la vie quotidienne et la lutte ? Esquisse d’un bilan politique de la période 2014-2020 ? Quel avenir pour Roybon et pour les Avenières ? etc.
Publiée depuis 2015, cette revue se donnait pour but de faire vivre la lutte contre le Center Parcs de Roybon (Isère) et d’en laisser des traces. Au-delà du cas particulier de cette lutte, elle tâchait de tisser des liens avec les grands enjeux actuels (écologie, crise du capitalisme, nouvelles formes de luttes). Dans cet article publié dans le treizième numéro, et en exclusivité sur Rebellyon, , la rédaction revient sur les origines de la revue, ses préoccupations, les débats qui l’ont agitée et ses évolutions. Les médias ne sont pas neutres, nous vous invitons ici à découvrir un bout de notre cuisine interne.
Au début
C’était un après-midi de décembre 2014, nous étions allés en voiture dans la forêt occupée de Roybon pour construire des cabanes et des barricades. Sur le chemin du retour, on a discuté avec le copain photographe qui avait accumulé pas mal de photos au cours des semaines précédentes. On s’est dit qu’on pourrait trouver un moyen de les rendre publiques, en leur ajoutant des textes, afin de mieux faire connaître cette lutte et cette occupation contre ce projet touristique. En en rediscutant, on a trouvé ça plus intéressant de monter une revue qui accueillerait ses photos et des textes issus de diverses origines. Faire de l’agitation politique nous semblait également une bonne façon de nous impliquer dans cette lutte, nous qui habitions à 60 bornes de Roybon et qui ne pouvions être présents sur zone de façon permanente pour diverses raisons. Alors c’était parti, et début 2015, on a publié le premier numéro de De tout bois, une « revue de lutte contre le Center Parcs de Roybon ».
À l’époque il y avait une grosse émulation. Les travaux du Center Parcs commençaient en catastrophe trois jours après la signature de l’arrêté préfectoral, six jours plus tard survenait la mort de Rémi Fraisse à Sivens, puis l’interruption des travaux, l’occupation de la forêt et de la Maquizad, et toutes les cabanes qui poussaient dans les bois. À Grenoble, il y avait aussi le Comité grenoblois de soutien à la ZAD des Chambarans, qui publiait son fanzine le Chambar’Tout.
On a publié comme ça quelques numéros, tout comme le Chambar’Tout en parallèle, et un an plus tard, au printemps 2016, nous avons décidé de fusionner les deux publications. C’était un moment où la lutte était nettement moins dynamique que durant l’hiver 2014/2015, un certain nombre de personnes n’étaient plus là, et nous avons regroupé nos forces. Cette fusion a été l’occasion de confronter nos manières de travailler et de partager de nombreuses discussions politiques qui ont été, pensons-nous, profitables à toutes et tous.
Six ans ont passé, treize numéros ont été publiés. La forêt n’est plus occupée, depuis l’expulsion récente de la ZAD fin 2020 et la destruction de toutes ces cabanes qui nous avaient fait rêver. Mais le projet de Center Parcs n’existe plus non plus, ce projet qui nous avait fait cauchemarder, et c’est un sacré soulagement pour nous et pour la forêt.
Au coeur de nos préoccupations
À l’heure de publier ce treizième et dernier numéro, nous nous sommes dit qu’il pouvait être utile de revenir sur quelques principes qui ont guidé notre publication depuis ses débuts, et quelques débats qui nous ont traversés.
Nous avons essayé de faire un objet hybride, qui tienne autant du journal d’agitation, de la feuille d’info, que de la revue d’analyse critique. Au sommaire, on a pu trouver des chronologies factuelles, l’actualité de l’occupation et des actions contre Center Parcs, des fiches pratiques, l’actualité juridique de la lutte, des mises en perspectives historiques, économiques, politiques, philosophiques ou magiques, le relais d’autres luttes qui nous semblaient faire écho à celle-ci, des démontages des discours médiatico-politiques, des analyses des enjeux de pouvoir autour du projet, des critiques du tourisme...
Nous avons voulu que De tout bois s’adresse à un large public plutôt qu’à un « milieu » restreint. Sans prétendre non plus faire un journal à destination des « indécis », nous avons essayé de publier une revue qui pourrait faire le lien avec les 1 000 personnes présentes à la manifestation d’ouverture de la Maquizad en novembre 2014. C’est pourquoi nous avons cherché, tout en maintenant l’exigence des articles, à éviter tout jargonnage ou présupposé théorique. À faire une revue accessible sur le fond mais également par son prix dérisoire (le prix de vente ne dégageant aucun bénéfice, l’idée étant de considérer cette revue comme un gros tract de 32 pages).
Idem pour la diffusion : nous nous sommes appuyés sur un réseau de libraires et de maisons de la presse en Isère et dans la Drôme, pour que la revue soit disponible non seulement dans les réseaux militants mais aussi chez le buraliste d’à côté.
En outre, nous souhaitions, en plus de documenter cette lutte, que cette revue serve également d’archives pour le futur : transmettre l’expérience de cette lutte, que ce soit à destination des nouveaux arrivants, des personnes impliquées dans d’autres luttes ou de ceux d’entre nous qui ont mauvaise mémoire. Notre volonté est que les expériences racontées puissent servir de combustible pour les luttes, de matière toujours vivante.
Face à la propagande institutionnelle dans les médias vantant les bénéfices économiques du projet pour la Région, nous avons tâché, article après article, de démontrer l’inanité de ce projet que ce soit sur le plan économique, social ou encore environnemental. Mais nous avons toujours eu la volonté de nous placer sur un terrain anticapitaliste plutôt qu’environnemental. Pour le dire avec d’autres mots : de nous inscrire dans une perspective d’écologie radicale, qui allie intrinsèquement défense de l’environnement et critique du système capitaliste. Nous avons donc porté une contestation du « modèle Center Parcs », des conditions de travail et du monde dans lequel il s’inscrit, plutôt que d’insister sur les conditions particulières qui auraient justifié de ne pas bâtir ce projet ici. C’est pourquoi nous sommes partisans de la ligne « Ni ici Ni ailleurs » portée également par la « NINA », la coordination contre les Center Parcs qui regroupe des opposants aux autres projets dans le Jura, en Saône-et-Loire, et en Normandie. C’est l’une des façons de comprendre le titre de la revue : « dans tous les bois », que ce soit dans celui-ci ou dans n’importe quel autre.
Enfin, nous avons porté une réflexion sur les moyens d’action. Nous pensons, en effet, qu’un enseignement des luttes des années récentes est la complémentarité des différents modes d’action. Occupation physique, recours juridiques, agitation, enquête critique. Comme le dit aussi le titre, nous voulions faire « feu de tout bois » pour empêcher ce projet, et c’est d’ailleurs peut-être grâce à cette complémentarité que l’opposition est sortie victorieuse de ce combat. Un thème traité à plusieurs reprises dans nos colonnes… [1] et n’empêchant pas une réflexion critique sur la stratégie [2]. C’est ainsi selon nous le rôle d’une revue que de permettre la discussion de différents points de vue à ce sujet, en espérant que de cette discussion contradictoire puisse émerger une collaboration pratique. Et non des ruptures définitives, comme cela est un peu à la mode dans les milieux radicaux ces dernières années.
• Une cinquantaine de personnes ont écrit des articles, pris des photos, dessiné, réalisé la mise en page, confectionné et distribué la revue au fil des numéros
• Le nombre d’exemplaires a varié entre 750 et 1 500 exemplaires. Celui-ci est tiré à 500 exemplaires, nous le réimprimerons peut-être.
• Le coût de fabrication unitaire est de 0,60 € environ. Avec la marge du libraire, les frais d’envois, les exemplaires gratuits, la revue est donc au final légèrement déficitaire.
Au fil du temps
La rédaction a également été le lieu de nombreuses discussions et évolutions. Parmi nos réflexions, il y eut, au moment de la fusion Chambar’Tout / De tout bois, la question de savoir si nous définissions notre action comme un « soutien à la ZAD » ou comme une « lutte contre Center Parcs ». De savoir donc si nous considérions que l’occupation était le « centre » de la lutte, ou l’un de ses points parmi d’autres. Ces questions nous ont traversés à nouveau quelques années plus tard. En effet, la rédaction a connu plusieurs renouvellements d’équipe (arrivées et départs). Nous avons alors été plusieurs au sein du comité de rédaction à avoir été occupants de la ZAD et à ne plus l’être : quelle place trouver dans la lutte, alors [3] ? En cela, la vie du journal a été le reflet de la dynamique de la lutte : en effet, durant l’hiver 2014/2015, plusieurs centaines de personnes se sont activement investies (par la participation aux deux manifestations notamment), puis cette participation active a été « déléguée » aux zadistes et aux associations environnementales. Nous avons à plusieurs reprises déploré dans nos colonnes cette « délégation » que nous estimons nuisibles, mais c’est un fait. En cause : l’urgence était passée (le tribunal a bloqué les travaux après trois semaines d’occupation, le 23 décembre 2014). C’est durant cette période que nous avons acté l’importance de maintenir la publication de la revue dans la durée, afin de servir de trait d’union entre les personnes qui avaient été investies – et qui pourraient le redevenir.
Autre évolution – peut-être liée – à laquelle nous avons été confrontés : nous avons observé au fil des numéros une érosion des ventes. Les deux premiers numéros se sont vendus aux alentours de 1 500 exemplaires (une partie à leur sortie, une partie au fil des années), alors que les numéros suivants ont culminé à 900-1 000 exemplaires vendus. La baisse des ventes a été particulièrement sensible au niveau « local » (dans un rayon de 50 kilomètres autour du projet), alors que progressivement des personnes plus éloignées se sont intéressées à la revue et nous ont commandé des exemplaires. Sur cette érosion des ventes, notre analyse est qu’il ne s’agit pas d’une baisse de la qualité de la revue, mais que c’est une conséquence du reflux de la lutte, un désintérêt d’une partie du public une fois passée l’urgence, ou encore une sorte de zapping politique, les nouvelles préoccupations chassant les anciennes. Néanmoins, nous pensons que la revue a réussi à jouer son rôle de circulation d’informations – particulièrement alors que la lutte était dans un creux, de mise en perspective et de mise en débat d’analyses. Nous avons essayé – alors que la tentation inverse était grande – de continuer à traiter de sujets locaux et d’éviter de laisser trop de place aux problématiques venues d’ailleurs, pour tâcher de continuer à intéresser un public local, celui qui serait apte à se manifester à nouveau en cas de rebond de la lutte. Nous avons aussi tâché de maintenir un lien entre nous et l’occupation elle-même (pour rappel : le comité de rédaction est et était majoritairement composé de non-occupants). Mais cela n’a pas toujours été possible, en particulier ces deux dernières années, à notre regret !
Au final
À l’heure de publier ce dernier numéro, nous voyons nos placards pleins d’anciens numéros. Il serait dommage de les stocker là et qu’ils prennent la poussière avant d’être jetés dans quelques années. Si vous le souhaitez vous pouvez nous commander des collections entières (ou presque, certains numéros sont en voie d’épuisement) pour les mettre en consultation dans des lieux collectifs, des bibliothèques alternatives ou des salles d’attente. Celles et ceux qui le souhaitent peuvent recevoir ces exemplaires gratuitement ; parallèlement, celles et ceux qui souhaiteraient nous envoyer quelques dons pour équilibrer le budget global de la revue sont les bienvenus. Adressez vos commandes à : Le monde à l’envers, 22 rue des violettes, 38100 Grenoble.
Le comité de rédaction
hiver 2020/2021 / 979-10-91772-40-2 / Numéro spécial : 56 pages, 3€
« Pourquoi nous avons gagné », par le comité de rédaction ;
« Chronologie de la lutte », par le comité de rédaction ;
« Pas ici... mais ailleurs ? », par le comité de rédaction ;
« Vive la forêt », par un ancien de la forêt ;
« Zadist the question », par Pierrot et Lutin Noir ;
« Guerre et care. Guerre à la guerre ! », par Bergamote ;
« Les pointillés d’une lutte », par une opposante au projet de Center Parcs du Jura ;
« Regard sur une victoire », par Philippe ;
« La faute aux autres », par une militante juridique ;
« Parce que c’est notre projet », par CamiCass ;
« Nos futurs proches », par Renandberg & co’ ;
« Notre lutte ne se muséifie pas ! », par la coordination Center Parcs : ni ici, ni ailleurs ;
« Retour sur De tout bois », par le comité de rédaction ;
« La minute nécessaire de monsieur Perraud ».
Ce numéro est disponible dans toutes les librairies. En particulier, localement : Terre des Livres, La Gryffe, Le Bal des Ardents, la Luttine (Lyon)...
Editions Le monde à l’envers
22 rue des violettes
38100 Grenoble
http://lemondealenvers.lautre.net
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