« Je suis désolé mon ami, mais ici au Maroc, nous les migrants avons appris à ne faire confiance à personne. » Comme beaucoup d’autres personnes contactées, Kamal* ne veut pas témoigner des tragiques événements du 24 juin à la barrière de Melilla [voir encadré]. Si, d’après nos sources, ce Soudanais était présent le jour du massacre, il botte en touche. Le même type d’esquive se répète avec plusieurs interlocuteurs contactés par WhatsApp. « Je ne suis pas allé à la barrière avec les autres car j’étais malade ce jour-là », répond l’un, qui finit par préciser qu’il a perdu sept de ses amis le 24 juin. Un autre affirme contre toute attente qu’il était alors en Libye. Et beaucoup ne répondent tout simplement pas. Comme le résume Imane, qui travaille à Oujda auprès de personnes exilées : « Personne ne veut témoigner, ils ont tous peur. »
Relancé et rassuré par nos garanties d’anonymat, Kamal finit par en dire plus. Il explique qu’il a vu un ami mourir et qu’il est « pris de crises de larmes quand il y repense ». Derrière le traumatisme plane aussi le risque d’incarcération : « S’ils pensent que tu as tenté de passer la frontière ce jour-là, tu es accusé d’être un trafiquant d’humains et condamné à un minimum d’un an de prison. » Alors, dans ce pays où pour lui « les limites [du tolérable] sont dépassées », celui qui rêve d’Angleterre s’en remet à la prière, concluant ainsi notre discussion : « Oh God, Amen, Lord. »
Melilla, le désert frontalier
Le Maroc est de longue date un territoire privilégié par les Subsahariens souhaitant rejoindre l’Europe sans passer par la terrible case Libye. La dernière étape avant le boza [1] tant rêvé. Il y a trois zones de passage. D’abord la région de Tanger, avec les traversées par le détroit de Gibraltar ou la barrière de Ceuta. Ensuite, le Sahara occidental pour celles et ceux qui privilégient la périlleuse traversée par l’Atlantique vers les Canaries [2]. Et la troisième : les environs de Nador, avec soit des traversées en bateau vers l’Espagne (pour celles et ceux qui ont l’argent à verser aux passeurs), soit le saut de la barrière de Melilla (pour les poches vides). Mais ces derniers temps, le renforcement de la surveillance voue la plupart des tentatives à l’échec dans la région.
« Depuis le 24 juin, il n’y a plus eu le moindre passage par la barrière », atteste Marta Llonch, juriste pour la Commission espagnole d’aide aux réfugiés (CEAR), une association qui intervient au centre d’accueil de Melilla. Dans cette ville repliée sur elle-même, le massacre du 24 juin n’a pas ému grand monde : « Aucun habitant n’est venu au rassemblement d’hommage aux victimes qu’on a organisé. Alors que c’est arrivé à la porte de chez eux... » Racisme ou lassitude ? À Melilla, la barrière fait des morts et des blessés depuis des années.[...]
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