Louisa Yousfi est journaliste, autrice de « Rester Barbare » et militante décoloniale. Elle viendra nous présenter son texte, entre essai littéraire et manifeste politique.
Interviewée par le site internet Diacritik, elle présentait son livre de la manière suivante :
" Tout a commencé avec cet énoncé de Kateb Yacine : « je sens que j’ai tellement de choses à dire qu’il vaut mieux que je ne sois pas trop cultivé. Il faut que je garde une espèce de barbare, il faut que je reste barbare. » En écoutant cette formule pour la première fois, j’ai été traversée par le sentiment qu’elle allait me « délivrer ». C’était la formule d’une condition – celle des populations issues de l’immigration postcoloniale – et d’un processus auquel elles étaient destinées – tragiquement destinées : l’intégration. Pourquoi tragiquement ? Parce que cette intégration repose tacitement sur l’idée que pour se tailler une place dans la société, il faut abandonner, sinon renier, tout ce qui fonde notre être le plus élémentaire : nos traditions, notre religion, notre langue, notre culture. En tant que fille d’immigrés algériens, musulmans, ouvriers, analphabètes, ce processus d’« effacement » de soi, de « domestication », qu’on appelle aussi « acculturation », se rejouait à tous les endroits, et notamment à l’endroit de l’écriture. Plus je me gavais de culture légitime, plus je ressentais une impuissance à écrire, à dire, moins j’avais « de choses à dire ». Quoi de plus normal ? Ne dit-on pas que pour écrire, il faut pouvoir se tenir au plus près de soi, de sa vérité intime, qu’il faut être « authentique » ? Mais comment écrire lorsqu’on a passé sa vie à empêcher précisément cette « authenticité », à la refouler, parce que le système dans lequel nous sommes condamnés à vivre exige de se conformer à des normes qui s’imposent comme les seules dignes d’être embrassées ? En dehors de la civilisation occidentale, point de salut. C’est la jungle, la zone du non-être. Comment on écrit à partir de ça ? Avec cette formule « rester barbare », un nouvel horizon s’ouvrait. En cela, je crois que oui, on peut parler de « manifeste décolonial » parce qu’il pose un horizon esthétique radical : aller chercher ce qui, en nous, résiste à l’épreuve de l’intégration, cette « friche », ce « fond d’âme », que j’appelle « notre barbarie intime » et dont Mohammed Dib parle comme d’un « grand soleil », à la fois douloureux à regarder en face et propice à des fulgurances de sens libérées de la prétention civilisationnelle de l’Occident ou des passions tristes de nos récits de « mal-intégrés »."
Pour poursuivre : https://diacritik.com/2022/04/04/louisa-yousfi-plus-je-me-gavais-de-culture-legitime-plus-je-ressentais-une-impuissance-a-ecrire-rester-barbare/#more-88128
« Rester Barbare »
Paru le 18 mars 2022, aux éditions La Fabrique
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