Le mouvement des chômeurs et précaires de l’hiver 1997/98
Le système capitaliste ne peut fonctionner sans un nombre important de chômeurs, ce qui lui permet la soumission, la concurrence même au sein des classes populaires, évite la solidarité qui était de mise au sein du monde ouvrier et évite les idées de révoltes, malgré les inégalités de traitements, les discriminations et la répression de plus en plus féroce.
Cet hiver 1997/1998 est celui du mouvement des chômeurs et précaires où des dizaines de milliers de personnes se révoltent malgré tout contre la misère et les humiliations. La vitalité et l’énergie de ce mouvement a défrayé la chronique pendant quelques mois dans tous les médias hexagonaux, et ces quelques dizaines de milliers de personnes ont réussi à faire trembler le gouvernement socialiste de Lionel Jospin.
Ce sont en effet des occupations d’ASSEDIC, d’ANPE, de CAF, de CCAS, mais aussi des réquisitions collectives dans les supermarchés un peu partout, mais notamment dans le Nord au début du mouvement, des ouvertures de logements vides et bien d’autres actions qui se succèdent pendant des mois.
Cette lutte des chômeurs et précaires a porté au grand jour les revendications d’une augmentation importante de 1500 francs et immédiate des minima sociaux, d’une ouverture du droit au revenu pour les jeunes et réclamé partout en France des aides financières d’urgence, en particulier la "prime de Noël" réclamée par les premières actions de cet hiver-là sur Marseille... Mais ce n’était pas que cela...
Cette année-là, le gouvernement finit par lâcher : augmentation massive des minima sociaux (RMI, ASS) et aides financières aux chômeurs qui dépassent largement les 152 euros par personne accordés depuis chaque fin d’année…
Cependant, à Lyon, on ne veut pas en rester là !
Ce qui a démarré le mouvement sur Lyon, ça a été l’occupation du CCAS du 3e arrondissement, qui n’aura pourtant duré que quelques heures. En effet, Barre a fait virer tout le monde manu militari dès la fermeture de la mairie vers 17h. Il y avait beaucoup de monde pour ce rassemblement d’occupation : pas mal de précaires, pas mal de chômeurs, de nombreux militants, des gens des organisations politiques et syndicales, des personnes d’associations de soutien aux précaires, de soutien aux chômeurs... Du monde motivé participait à cette action, et surtout cela créait un brassage assez inédit de personnes qui avaient l’occasion d’échanger et de se découvrir.
C’est une brigade spéciale de policiers (appelée BRAV), aidée de CRS, qui est intervenue pour déloger de façon musclée les occupants. Tout le monde a été mis par terre, et chaque personne a été emmenée par quatre flics tirant par les pieds et par les bras. Cette opération plutôt violente a permis de souder les manifestants, qui n’avaient qu’une envie : c’était de continuer le mouvement.
Tous se sont retrouvés ensuite à la Bourse du Travail, tout proche, où d’ailleurs de très nombreuses réunions se sont tenues par la suite dans le cadre de ce mouvement. Ces réunions n’étaient pas très faciles, car beaucoup n’avaient pas l’habitude de ce genre de rencontres, d’assemblées générales. Le langage était parfois direct, mais sincère et sans bluff. Du coup, on prenait le temps que chaque personne ait la possibilité de s’exprimer et d’être écoutée.
Il y a eu d’autres occupations, et notamment celle de la mairie du 9e arrondissement, qui n’a pas duré plus longtemps que dans le 3e, même si l’évacuation a été beaucoup plus calme.
Et il y en avait marre de se voir casser tous les regroupements de chômeurs ! Il semblait important de bénéficier d’un lieu établi, défini qui puisse permettre aux chômeurs et précaires de se retrouver, et aussi au mouvement de prendre de l’ampleur. Il fallait trouver autre chose qu’un lieu public. Un propriétaire privé doit faire une demande en bonne et due forme préalable à une procédure judiciaire, ce qui permet de gagner du temps. Et pourquoi pas occuper cette ancienne ANPE qui appartient au Crédit Lyonnais ?
Lors de ce mouvement, comme chaque samedi ou presque des manifestations étaient organisées, l’idée est venue alors de terminer la manifestation du samedi 10 janvier dans ce lieu si symbolique, ce qui permettrait de le faire connaître par le plus grand nombre.
Un leurre, qui a bien fonctionné
C’est vers 14h30 qu’une manifestation de trois cents personnes environ, enjouée et relativement bruyante, déterminée contre le chômage voulu par le système, et contre la misère, s’est ébranlée ce samedi 10 janvier 1998 de devant la Bourse du Travail de Lyon, endroit déjà symbolique sur la place Guichard.
En fin de matinée, on apprit que l’objectif de cette manifestation était l’Hôtel de Ville place des Terreaux. Mais ce n’était qu’un leurre pour les policiers qui s’y sont engouffrés toutes sirènes hurlantes, tandis que toutes les personnes de la manif, l’information ayant filtré en cours de route, se sont retrouvées à l’intérieur de l’ancienne ANPE de Lyon, à l’angle de la rue de Brest et de la rue Grenette, à quelques centaines de mètres des Terreaux. [1]
L’action ayant été préparée, des personnes habitaient déjà ce lieu depuis plusieurs jours et il suffit alors d’ouvrir avec une clé pour que tout le monde puisse y entrer.
Se rassembler, passer un moment, rester la nuit dans ce lieu doublement symbolique
Les manifestants ont réalisé un joli coup. Ils ont investi un symbole en prenant possession de ces murs parce que c’était la principale Agence Nationale Pour l’Emploi de Lyon, mais c’est en même temps un double symbole parce que le propriétaire des lieux n’est autre que le Crédit Lyonnais.
Ce Crédit Lyonnais et son fameux trou de 140 milliards de francs (21,5 milliards d’euros) financés ...par la collectivité, alors que les chômeurs n’obtiennent au total qu’un seul milliard de francs de la collectivité, toutes allocations confondues. La comparaison paraît bien dérisoire, ubuesque. On sait d’autre part que les responsables du Crédit Lyonnais de l’époque ne seront jamais inquiétés, c’est vrai qu’ils sont très proches du pouvoir, du PS et surtout de l’UMP, tel Jean-Claude Trichet, l’actuel président de la Banque Centrale Européenne, Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, l’homme d’affaires François Pinault...etc
Des banderoles sont vite installées tout autour du bâtiment, invitant les passants à venir dialoguer avec les chômeurs. Elles invitent aussi salariés et chômeurs à échanger et préparer ensemble de nouvelles actions. La pression doit être maintenue pour que le mouvement continue à s’amplifier partout dans l’agglomération lyonnaise. Une discussion s’engage par exemple sur une revendication d’AC ! Rhône (Agir Contre la Chômage) d’une possibilité de revenu garanti pour tous, avec ou sans emploi...
Il s’agit maintenant de remettre l’électricité, ce qui est fait en un tour de main. On commence à s’installer, d’aller chercher des matelas, de la nourriture arrive provenant pour une grande part apparemment de la mairie de Vénissieux, et des personnes reviennent avec leur duvet pour y passer la nuit.
Ça nous redonne des forces de nous retrouver dans "notre" maison des chômeurs lyonnaise
L’action collective contribue à donner une nouvelle légitimité sociale aux personnes qui se sentent dévalorisées, fragilisées, isolées par le chômage, le manque d’argent. « Ça redonne des forces », « tu baissais la tête, tu la relèves ! »
« À partir de ce moment, au sein du collectif, elles vont chaque jour s’inscrire dans cette lutte, en occupant des locaux administratifs, en participant aux assemblées générales mais surtout en s’occupant de la gestion domestique des espaces militants. En s’inscrivant dans une lutte collective, ces pratiques se voient conférer une valeur particulière qui permettent aux acteurs de s’affirmer. Cette affirmation permet en retour de se redéfinir positivement... Ainsi, l’une nous expliquait : « ça m’a permis de connaître ma personnalité, de me rendre compte que j’étais pas si nulle que ça. Et avec le mouvement, j’ai pris conscience que j’avais des capacités. » indique Valérie Cohen, qui a fait une étude sur les collectifs de chômeurs de Lille en 1998.
Et à Lyon, dans ce lieu occupé, c’était incroyable de voir tout ce mélange de gens très différents dans une même action collective, si importante pour certains, presque quotidienne, initiée dans ce local, avec tout le combat mené pour le conserver le plus longtemps possible, mais qui pourra de toute façon continuer plus tard ailleurs au sein de différents collectifs lyonnais.
« Ah... c’était dans les bonnes années !... » s’exclame quelqu’un, comme si Sarkozy avait imposé une chape de plomb sur les espoirs des habitants en France...
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Multitudes : Sur le mouvement des chômeurs de l’hiver 1997-1998
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