Expliquer un phénomène social, ce n’est pas l’excuser
Cet article vise à déconstruire les idées préconçues à l’égard des hommes auteurs de violence et à éclairer les mécanismes à l’origine du processus des violences masculines. La violence masculine est un phénomène social et ses facteurs ne sont pas à rechercher dans des caractéristiques intrinsèques aux « auteurs de violences » que la société qualifie souvent de « monstres ». A l’origine du processus de la violence conjugale réside une socialisation masculine viriliste à laquelle il conviendra de mettre fin si l’on veut construire une réelle égalité entre les femmes et les hommes.
Les violences masculines : un phénomène social
Depuis près de trois ans maintenant, j’accompagne des auteurs de violences conjugales dans la compréhension de leurs actes. J’anime des ateliers sur les stéréotypes de genre et la construction de la virilité en m’appuyant sur des outils issus de l’éducation populaire et en mobilisant les sciences : la sociologie, l’anthropologie, l’histoire, et par la force des choses, la biologie. Durant mon parcours universitaire classique en sociologie et en histoire, je me suis rapidement dirigé vers la sociologie du genre et spécialisé dans la promotion de l’égalité auprès de publics masculins.
Lors d’une journée de présentation du dispositif à la direction nationale de l’association dans laquelle je travaillais, le président m’interpelle : « Alors, c’est vous le jeune homme qui travaillez avec les monstres ? ! »
« Les monstres ». Ces mots faisaient écho à l’appréhension soudaine que j’avais ressenti quelques jours avant ma prise de poste. Ils résonnaient aussi avec la représentation qu’enfant je me faisais d’un père avec qui j’ai rompu les liens de manière irrévocable. Un auteur de violences conjugales peut être un monstre – et/ou un amour – aux yeux de ses victimes. C’est leur droit inaliénable.
Que la société tout entière considère ces hommes comme « des monstres », ou pire comme des « passionnés » (c’est l’expression qu’on voit encore dans les médias pour qualifier des crimes), révèle cependant un refus collectif de s’expliquer un phénomène de société dont je ne prends ici que quelques exemples :
- Environ 225 000 femmes âgées de 18 à 75 ans déclarent avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint au cours d’une année [1]. Combien cela fait-il d’hommes violents avec la personne avec qui ils ont décidé de vivre ?
- 1 femme sur 5 est confrontée à une situation de harcèlement sexuel au cours de sa vie professionnelle [2]. Combien d’hommes ont harcelé sexuellement au travail ?
- Parmi les femmes de 20 à 69 ans, une femme sur sept déclare au moins une forme d’agression sexuelle au cours de sa vie [3]. Combien d’hommes se sont-ils octroyés le droit d’agresser sexuellement ?
Interroger sa compagne, ses filles, sa mère, ses amies ou ses soeurs, si, elles aussi, elles auraient pu écrire un jour #MeToo ou #BalanceTonPorc demanderait beaucoup de tact. Sans doute est-ce un exercice irremplaçable pour se rendre compte qu’il s’agit là du vécu d’une majorité de femmes, d’expériences et de situations si multiples. Qu’on se le dise : ça fait beaucoup d’hommes ! Peut-être, très probablement, avons-nous nous-mêmes été cet homme qui, souvent ou plus exceptionnellement, a profité, un peu, beaucoup ou « à la folie », de son statut d’homme pour démontrer la supériorité de son pouvoir ou de ses désirs aux dépens d’une femme.
"Peut-être, très probablement, avons-nous nous-mêmes été cet homme qui, souvent ou plus exceptionnellement, a profité, un peu, beaucoup ou « à la folie », de son statut d’homme pour démontrer la supériorité de son pouvoir ou de ses désirs aux dépens d’une femme."
Expliquer un phénomène social pourtant, ce n’est pas l’excuser. C’est au contraire la condition pour se doter des outils de compréhension permettant de vaincre les violences masculines, les plus barbares comme les plus banalisées, dans toutes les sphères de la société. C’est rappeler aussi le continuum dans lequel ces violences s’inscrivent.
Lorsque j’anime un atelier, je n’ai pas des monstres devant moi. J’ai Jérémy, Fabien, Vincent, Abdel, Kévin et Nathan. Ils ont 20 ans, 40 ou 60 ans. Ils sont ouvriers du bâtiment, restaurateurs, artisans, étudiants, en apprentissage, éducateurs spécialisés, retraités, pompiers ou dirigeants de start-up. La plupart se disent même, sincèrement je crois, en faveur de l’égalité. Les auteurs de violences conjugales sont des hommes terriblement comme les autres. Bien souvent, ils n’ont personne à qui parler des difficultés de la vie qu’ils rencontrent dans leur couple, ou professionnellement. Encore moins des actes de violence qu’ils ont pu commettre. Personne n’a envie d’être un monstre aux yeux des autres. Ni d’ailleurs à ses propres yeux. Sans doute cela explique-t-il la force du déni et le taux de récidive. Le monstre, c’est toujours un autre, car qui peut bien s’identifier à une figure imaginaire ?
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