Étrange. Étrange que de s’adresser à quelqu’un qu’on ne connait pas. Ou disons plutôt que je peux avoir l’impression de te connaître par des livres, des mots, des actes mais sans jamais arriver à vraiment te saisir et t’enfermer, ce qui fait ta force. Je t’ai « redécouverte » à l’Insoumise en laissant mes yeux virevolter dans les rayons de livres. Cela faisait déjà quelques temps que je tenais des permanences là-bas. En arrivant à Montréal quelques mois auparavant, un bien-heureux hasard m’avait poussé à ouvrir la porte de cette librairie, intrigué de voir ce grand A encerclé de son O, et ce nom l’Insoumise s’étalant fièrement en lettre majuscule sur ce bâtiment hirsute. Impossible de rester indifférent, j’ouvre la porte, salue la personne assise et voila comment commence cette histoire.
Je fais ma rencontre avec l’Anarchie.
Malgré une pensée, une sensibilité libertaire instinctivement ancrée en moi je n’avais jamais mis de mots là-dessus, ni poussé la porte de l’histoire à me dévoiler celle des vaincus. Je m’étais enfermé dans une certaine passivité, même si j’essayais de vivre autrement et dans d’autres normes que celles établies par ce monde. L’idée d’une vie partagée avec d’autres, d’une mise en commun de nos savoirs et de nos moyens voila des choses qui m’intéressaient déjà. Mais plus comme une fin en soi. Je refuse d’être gouverné je vais donc faire ma bulle le plus caché possible de toute autorité étatique et tenter de rester caché, voila ce qu’était ma pensée à ce moment-là.
Puis je découvre Malatesta, et son petit livre intitulé l’Anarchie. Me voilà en train d’écarquiller les yeux, de sentir mes tripes se ficeler. Je le lis et le relis, y puisant pour la première fois un nouvel espoir. Quelque chose vient se nicher dans mon être.
« Selon nous, tout ce qui tend à détruire l’oppression économique et politique, tout ce qui sert à élever le niveau moral et intellectuel des hommes, à leur donner conscience de leurs droits et de leurs forces et à les persuader d’en faire usage eux-mêmes, tout ce qui provoque la haine contre l’oppression et suscite l’amour entre les hommes, nous approche de notre but (…) »
Puis Emma Goldman et son autobiographie De l’amour et de bombes : Épopée d’une anarchiste. J’y découvre une pensée bien vivante, l’idée du plaisir dans la révolte, de la vie qui est aussi importante que la lutte. Ou plutôt des deux qui sont intrinsèquement liés et non rigides. « A quoi sert la révolution si je ne peux pas danser ? » dit-elle.
Et puis la poésie de Lola Lafon rentre dans ma vie. La première fois, un cabaret anarchiste sur le thème de la prison donné à l’étage de la librairie. La lumière tamisée, les voix sombres qui s’envolent, les mots quittant les souvenirs de ceux qui les habitent. Mots qui s’échappent des barreaux, mots qui exorcisent la solitude et permettent de se libérer de ces maux qui nous rongent tous. Une jeune femme s’assoie sous la petite lumière et sort ce livre Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce et nous en lit quelques extraits. Je note ces mots sur mon cahier « Redevenons des bandites fiévreuses, des enfants acharnés à ne pas rester là où on nous pose ».
Le lendemain lors de ma permanence je me procure le livre. Je rentre chez moi sur mon vélo dans les rues enneigées de Montréal. Je sais que mes compagnon.e.s de notre cabane urbaine sont tous ailleurs.
Je me jette sur mon lit et je le lis. Je découvre ce qui m’avait manqué dans tant de mes lectures, la poésie. La poésie des mots et la portée que celle-ci peut donner à tout acte.
Elle vient relier les gens et les choses, vient donner sens aux actes brûlants que chacun peut accueillir et transformer. Subjective, subversive. A la lecture de ce livre j’entrevois pour la première fois cette domination masculine qui s’insère partout, dans la vie de tous les jours. Ces petits gestes si anodins, ces blagues innocentes, ces regards déshabillant. M’apparaît alors la bataille qui doit être mené contre soi-même. La dé-construction qui doit s’opérer dans chacun de nous. Changer les schémas, transformer les genres... Voilà que la révolte n’est pas qu’à l’extérieur mais qu’elle est aussi à mener à l’intérieur de nous...
Je repense à une phrase de Raoul Vaneigem dans un livre d’entretien : Rien n’est fini, tout commence : « Dans un des nombreux centres sociaux autogérés d’Athènes, où je participais aux discussions, quelqu’un m’a dit : » « J’aimerai te donner raison mais regarde autour de toi, rien ne bouge, l’argent gouverne tout, le pouvoir de la répression est énorme. Que pouvons nous faire ? Rien » J’ai simplement répondu : « Si tu le crois vraiment, que fais tu ici, dans ce collectif autogéré, où l’on pratique la gratuité, ou l’on invente une vie qui ne veut rien avoir en commun avec les puissances financières, avec l’État qui est à leur botte, avec les partis politiques et les syndicats ? » Il a acquiesce en riant. C’est une grande victoire des forces répressives que de nous faire douter de notre puissance créatrice jusqu’à nous résoudre à la dénigrer". Chaque acte compte, chaque mot compte. Ne nous sous-estimons pas.
Ce sont des mots, tout ces mots, de tout ces amies livresques qui ont donné sens à ce qui grondait dans mon ventre. La petite bête qui venait ronger mes entrailles, cette bête de la résignation, de ne savoir par quel bout prendre les problèmes, a été vaincu par le grondement de la révolte, le torrent de l’imagination, la tempête de la vie.
Jamais plus ne s’éteindra la flamme de la révolte.
Pour que pousse la vent de la liberté, que l’étau se desserre, que nos hurlements de joies devienne contagion, que nos rages débordantes recouvre leurs normes, leurs lois, leurs milices, leurs fric, leurs lieux de pouvoir de mille feux étincelants.
Luttons, Jouissons, Rions, Aimons, Révoltons Nous
Janek
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