Pourquoi nos initiatives militantes sont casse gueule

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Ce texte lève le silence sur ce qu’il s’est passé au sein de la Big Tape (collectif transpédégouine), puis, tire des conclusions plus générales sur nos groupes militants et nos fonctionnements, en mode coup de gueule.

Pourquoi certaines initiatives se cassent la gueule, ou
Pourquoi je ne viens plus dans vos événements.

Il y a bientôt 1 an, un collectif transpédégouine (TPG) Lyonnais se séparait : La Big tape. Elle était composé d’une petite dizaine de personnes qui se retrouvaient pour proposer des événements communautaires et de soutien, parfois de fête parfois plus politique. Cette fin s’est révélée douloureuse ou en tout cas compliquée pour toutes les personnes de ce collectif. Ce texte écrit il y à un moment déjà lève le silence sur ce qu’il s’est passé au sein de la Big Tape, puis, tire des conclusions plus générales sur nos groupes militants et nos fonctionnements, en mode coup de gueule.

Préambule

Cela fait des mois que j’écris, efface, réécrit ce texte, le laisse tomber par dépit, le reprend de rage. Ne jamais le finir, pour n’avoir jamais à le diffuser. J’en suis arrivée au point de me demander pourquoi cette écriture me faisait ressentir tout ce tas d’émotions parfois même opposées, mais toujours très intenses. Parce que j’ai peur. Que ma colère me fasse perdre ma lucidité, mon intelligence. Que ma colère donne à ma voix un ton amer. Que ma colère m’ait transformé en vieille conne aigrie par la vie et le monde qui m’entoure au point de ne plus voir que ce qui ne va pas.

Où se situe l’équilibre entre notre force critique absolument essentielle et notre besoin d’aller de l’avant, de créer et voir du positif, de se faire du bien. Dans la vie, parfois, on laisse passer des mots et/ou attitudes qu’on trouve politiquement pourris parce qu’un autre versant de ce qu’on voit ou entends nous apporte quelque chose. Dans ces moments ou on met de côté, ou on compose avec, on ne le fait pas dans la contrainte ou la frustration. Quand, et pourquoi le faisons nous à certains endroits et pas à d’autres ?

Je ne souhaite pas niquer des dynamiques. Être dynamique, avoir de l’énergie, lancer des initiatives, programmer des rendez-vous politiques et conviviaux, c’est incroyablement précieux, mais quel est le prix à payer pour ça ? Est ce que ça en vaut la peine si le discours n’est pas raccord avec les pratiques ? À part, quand il faut agir dans l’urgence, je crois qu’il est important de prendre le temps d’analyser nos failles individuelles et collectives pour traquer en nous les constructions qui s’expriment, pour ne pas reproduire, perpétuer ce qu’on voudrait voir mourir dans les systèmes. En tout cas, c’est à cette lumière là que je juge l’intelligence des groupes et des actions politiques.

La fin de la Big Tape

On a tendance à créer des collectifs en les définissants avec plein de grands mots. Féministe, anti-raciste, révolutionnaire, anti ou post coloniaux, transpédégouine, intersectionnel, anti capitaliste, anti-autoritaire, anarchiste, libertaire… Ces mots, on ne prend pas toujours la peine de se les expliquer, de se souvenir ce qui nous a donné envie de se les approprier. Dans l’exaltation du bouillonnement collectif, on se sent comprise et entourée. On oublie le point de vue situé, on oublie de se raconter. Se raconter d’où on parle. On fait confiance à nos camarades. Puis quand le sexisme ou le racisme pointe son nez avec une petite phrase toute bête, un moment raté. Puis quand nos pratiques deviennent petit à petit incohérentes avec les gros mots du début, il est déjà trop tard.

À la big tape, suite à mes râlages récurrents, on devait organiser depuis un bail des temps pour se parler des questions de féminisme, se reparler de la mixité choisie, de nos identités revendiquées et visibles. Mais personne s’en est vraiment saisi. Dans le même temps, la bigtape ne pouvant/voulant plus assumer l’orga des pink bloc, elle a fait un appel pour que d’autres gens s’en emparent. Ce pink block ayant pris de l’ampleur avec toutes les manifs lois travail et les actions antifa, une mailing liste a été créée par le pink bloc et intitulée « la méduse ». Liste avec pour administratrice le mail de la big tape. Le pink bloc (dont je n’ai jamais fait partie) et sa liste méduse comme un tentacule de la big tape. Avec le temps, certaines personnes du pink block ont eu envie de faire d’autres choses que juste des orga de manif, et ont voulu rejoindre la big tape. À la première réunion ou on devait accueillir ces nouvelles personnes, j’ai saboté et empêché la discussion. La goutte d’eau, c’était cette super soirée à l’acabin ou la parole, les prises de décision étaient entre les mains des mecs cis de notre groupe. J’avais besoin qu’on se questionne sur les situations concrètes de sexisme et d’enjeux de pouvoir qui étaient présentes depuis un moment, et qu’on en tire des conclusions.

Certain-es ont entendu et compris, d’autres se sont retranché-es derrière des explications inintéressantes d’un point de vue d’une analyse féministe, d’autres encore se sont défilé-es pour ne surtout pas avoir à se positionner. J’ai entendu d’une meuf sur le fait que les mecs cis prennent pratiquement toute la parole publique : « On ne peut pas forcer les meufs à prendre la parole ». J’ai entendu d’un pédé cis qui concentre la plupart des ressources sociales du groupe, sur le fait que les décisions sur une orga de soirée était prises par des mecs cis : « Si personne ne se saisit des choses à faire, c’est normal que ce soit mal repartit ». Comble du déni, on m’a traité de personne « violente ».

Petit à petit le champ d’action du pink bloc grandissant et l’impatience des personnes voulant nous rejoindre, qui ne pouvait pas à cause des problèmes internes de la big tape, ainsi que l’opportunisme politique des personnes avec qui j’étais en désaccord au sein de la big tape, le groupe méduse s’est constitué comme collectif a part entière et indépendant. Sans que tout le monde en ait vraiment conscience, les méduses se sont créées sur cette fracture, ces divergences politiques profondes, ces idéaux sans ancrage dans le réel. Toutes les discussions, ainsi que la dissolution du groupe big tape se sont produites dans l’indifférence, le silence et la solitude. Depuis sa création, les gouines sont parties les unes après les autres de la big tape, sans que ça ne gêne personne, ou que ça ne pose aucune question. On a caché la poussière sous le tapis, alors maintenant, je voudrais faire un peu le ménage.

J’en ai ma claque

J’en ai ma claque de ces pédés cis qui se disent féministes ou se cache dans des collectifs féministes. Wesh les gars, vous aurez beau intellectualiser tout ce que vous voudrez, vous ressentirez jamais, comprendrez jamais avec vos tripes ce que c’est d’être une meuf.

J’en ai ma claque de ces personnes qui parle de, et utilise le mot violence n’importe quand, qui t’accuse d’être violente pour tout et n’importe quoi. Non, je ne suis pas violente parce que je te supprime de mes ami-es facebook. Non, je ne suis pas violente quand j’écris un mail avec plein de colère dedans. Non, je ne suis pas violente quand je gueule ou que je ne souris pas ou que j’ai une posture offensive dans un débat. Ou alors je me demande si t’as déjà vécu de la violence.

J’en ai ma claque de ces mecs cis* (des mecs assignés mecs à la naissance) qui pendant les tours de prénom/pronom disent « moi, c’est il ou elle, peu importe ». En fait, non, ce n’est pas du pareil au même ! C’est oublier ou nier ce que ça veut dire d’être une meuf ou d’être elle, ou d’avoir été assigné elle. Parce que derrière ce pronom, il y a un rapport de force. Toi, tu peux te permettre de dire « elle » en soirée pour ton image de queer puis rentrer chez toi et tout oublier.

J’en ai ma claque de ces féministes française abolitionnistes ou laïcardes. Vous savez celles qui sont capables de dire ben, je vois pas le problème de cosigner l’appel d’une marche contre les violences faites aux femmes organisée par des abolo parce que vraiment, les travailleur-euses du sexe bossent dans des conditions super sécures.

J’en ai ma claque, de ces blanc-hes sans parcours migratoire qui veulent toujours être les plus inclusifs possible alors on se revendique anti raciste, on utilise des mots arabes pour montrer qu’on connaît la street, et une image d’une noire pour l’événement de son collectif de blanc-hes. L’antiracisme bien-pensant, que si un mec cis noir te laisse pas en placer une, on te répond : « Bah, oui, il est noir ». Paternalistes et infantilisants quand ielles ont une discussion avec un-e migrant-es. Ielles lisent l’histoire et ce qui leur arrivent d’un point vue blanco centré. « Olala la répression policière n’a jamais été aussi terrible qu’aujourd’hui parce qu’ils nous nasse en manif et que franchement c’est pas cool ! » ; c’est sur que des algerienn-es noyé-es dans la Seine… Barf !

J’en ai ma claque des sigles à rallonges (LGBTQQIP2SAA WTF ?). j’entends dire que les identités sexuelles et de genres sont fluides que c’est un continuum bla bla bla.... Qu’on ne veut pas de cases pour décrire nos manières de relationner aux autres ou pour se positionner dans la société. Moi non plus je n’en veux pas, mais malheureusement, je n’ai pas le privilège d’avoir le choix. Notre société actuelle est bâtie sur ces catégories et elles représentent une vraie réalité. Nier leur existence, c’est nier nos oppressions, c’est vider de politique nos militances TPG. Ça me va qu’on se définisse comme on veut dans nos vies quotidiennes ; même que ce soit fluctuant en fonction de à qui on parle, ou de comment on se sent ; mais je ne suis pas d’accord qu’à des moments de revendication politique collective, mon identité de gouine soit mise sur le même plan qu’une identité sapiosexuelle ou n’importe quelle identité romantique.

J’en ai ma claque qu’on affiche sur le même plan LGBT et TPG et Queer. Alors, ouais, tu me dis que tu confonds pas et que t’oublie pas qu’historiquement, c’est différent. Mais tu peux pas convoquer les esprits de bash back, en servant un discours tiédasse dans une mixité molle et me dire que t’as compris la diff. C’est ton héritage de De Gaulle avec son « je vous ai compris » qui s’empare de toi dans tes tracts, quand tu brosses tout le monde dans le sens du poil ?

J’en ai ma claque que la non-mixité en ce moment à Lyon se définisse en fonction de qui est présent au moment où on la décide, voire même elle est parfois mouvante en fonction de qui vient. Ou alors s’il y a discussion c’est pas sur une base politique, mais c’est plutôt tout le monde défend son identité comme légitime, on tire la couverture vers soi. Or, la mixité choisie est par essence un outil collectif et non pas individualiste, elle ne devrait pas servir des intérêts personnels ou entrepreneuriaux. Se questionner sur qui on est, comment on se définit, d’où on parle, ce n’est pas une pratique « excluante ou suspicieuse », c’est juste la base pour faire du commun dans nos réalités.

J’en ai ma claque qu’on parle encore d’espace safe ou de bienveillance. Comme s’il était possible de créer un espace ou les rapports de domination n’existeraient pas et ou tout le monde se sentirait heureux et en sécurité. Comme si les agressions (qu’elles soient micro ou méga) n’étaient dispensées que par des mecs cis blanc hétéro bourgeois valide psycho-typique français (le grand méchant qu’on croise jamais). Alors que nous les autres et bah on est toujours très correctes même que quand on dit des saloperies, on le fait toujours dans la bienveillance. Une manière de ne pas avoir à nous remettre en question, et de pas laisser de place à la critique. Un outil qui sert les privilégié-es donc.

J’en ai ma claque du nombre de personnes en questionnement qui se pointent dans nos soirées non-mixtes. Et quand on interpelle un camarade pédé pour lui dire « hey, mais lui, je le connais, qu’est ce qui fout là ? » Et qu’on nous répond « t’inquiète, c’est un pote, il est en questionnement, c’est cool. » Alors que ce type, on le croise depuis des années et on l’a entendu des paquets de fois sortir des conneries sexistes et avoir des comportements juste dégueulasses envers nos copines ! C’est aussi drôle comme tout d’un coup toutes les hetera le sont plus quand ya des soirées chouettes et que pour une fois c’est pas entre meufgouinetrans. Be cool !

J’en ai ma claque de ces blanc-hes qui se cherche des origines et des cultures lointaines, pour la course aux oppressions. En vrai, j’en a rien à foutre que 1/16 ème de ton sang viennent pas de blanc-hes. Ça veut rien dire sur ton niveau de privilège.

J’en ai ma claque de ces enfants de classe moyenne qui se plaignent de jamais avoir de fric, ou à l’inverse qui se considère comme les révolutionnaires les plus aguerris parce qu’ielles squattent et mangent dans les poubelles, ou encore celleux qui passe sous silence leurs origines sociales, mais qui se disent quand même précaires parce qu’ielles sont au rsa. Alors oublie ta campagne de dons et tes soirées de soutien pour te payer ta baraque. Arrête avec tes remarques sur la difficulté d’être propriétaire, ou d’emprunter à tes parents. Parce que, qui sera encore là pour faire croquer les potes quand l’héritage tombera ? Qui a conscience que pouvoir appeler sa famille si t’as un pépin, c’est un filet de sécurité de ouf qui change tout de nos manières d’appréhender nos vies matérielles ? Enfants de classe moyenne et plus, dévalisons nos familles et rendons l’argent à celleux qu’on a pillées.

J’en ai ma claque, qu’on ne puisse pas juste assumer de ne jamais pouvoir déconstruire nos privilèges totalement. Je n’aspire pas à une perfection, « un purisme raffiné ou une radicalité morale », simplement qu’on laisse de côté nos égo, qu’on soit un peu plus humble face à nos privilèges. Qu’on accepte d’être remis-e en question, d’être critiqué-e et surtout qu’on mette de l’énergie à travailler dessus pour pas rester un-e relou-e, un gros con toute sa vie.

Pour toutes ces raisons (et un paquet d’autres encore), j’ai la mort contre beaucoup de gens et de collectifs. C’est pas forcement pour toujours, ça dépendra de la suite de leurs engagements, de vos mots, de notre volonté.

Pas de paillettes bienveillantes qui nous aveuglent mais bel et bien de la colère !

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