Chercheur en sociologie politique et doctorant à l’université Lumière Lyon 2, Jérôme Vial travaille sur la sécurité dans les transports en commun. Le collectif Grabuge l’a rencontré au cours d’un entretien.
Une fonction de police confiée à une entreprise privée
« Le métier de contrôleur·e est par définition un métier de police. Les contrôleur·es sont assujetti·es au code de la sécurité intérieure, et sont historiquement les héritier·es de la police ferroviaire. C’est une mission de police que l’État a confié aux sociétés de transports, publiques ou privées, dès le XIXe siècle. Mais cette mission de police est tellement lointaine historiquement, qu’on a tendance à l’oublier.
Ces sociétés ont poussé la chose très loin, en s’imaginant faire passer le rôle des contrôleur·es pour une simple mission commerciale. La situation de contrôle est idéalisée par les entreprises comme un acte de fidélisation de la clientèle, comme si la verbalisation permettait aux contrevenants d’acheter un abonnement. C’est cette vision du métier que le Sytral et Keolis tentent d’inculquer aux contrôleur·es [1], comme le font d’autres sociétés de transport, comme la SNCF [2].
L’enjeu principal de la communication autour du contrôle depuis une dizaine d’années est de faire accepter que la raison d’être du contrôle c’est le manque à gagner de l’entreprise, ce qui entraînerait moins d’infrastructures, ce qui est très discutable. Ça, c’est l’enjeu pour les services de communication-marketing. Quant aux contrôleur·es, ils et elles restent encore très balancé·es entre les conceptions commerciales et policières du métier. »
Contrôleur·e et policier·e, même combat
« Les contrôleur·es sont principalement issu·es des franges ascendantes des classes populaires, très présentes dans les banlieues pavillonnaires. C’est encore un parallèle avec la police, puisque le corps des gardien·nes de la paix est majoritairement constitué d’une population d’origine populaire. Par rapport au reste de la population, les expériences précédentes de travail militaire, policier ou d’un autre métier lié à la sécurité sont surreprésentées.
Des opérations avec la police nationale, il y en a beaucoup, plusieurs par jour. Les contrôleur·es sont très habitué·es à bosser avec la police lors de contrôles, que ces actions communes soient programmées ou pas. Il leur arrive aussi d’aller en pause et de manger avec des policier·es. Certain·es sont ami·es depuis plus de 10 ans, se connaissent en dehors du travail, fréquentent les mêmes dojos, les mêmes salles de sport… »
Une incitation à contrôler qui fait système
« L’incitation à contrôler plus est implicite, dans le temps long, depuis les années 2000 et à travers tous les dispositifs de rationalisation du travail. À cette époque, on s’est mis à comptabiliser l’activité de contrôle car les moyens technologiques le permettaient. Les contrôleur·es ont progressivement appris à considérer que pour répondre aux attentes de la direction de Keolis et donc du Sytral, il ne fallait pas être en deçà d’un nombre de contrôles quotidien, fonction de leur affectation. C’est de fait une incitation à contrôler davantage. Et désormais la logique est acceptée par les contrôleur·es eux-mêmes.
Depuis 2016 et la loi Savary [3], les contrôleur·es ont plus de marge de manœuvre dans leurs rapports avec les contrevenant·es. Ils et elles peuvent désormais retenir physiquement des contrevenant·es, amplifiant les possibilités de violence. Des petites tentatives d’humiliation fréquentes ou des violences verbales, comme des remarques déplacées, sont des violences permises par la situation de contrôle. Mais globalement, la situation de contrôle est violente car la situation de non consentement ou de verbalisation est elle-même productrice de violence, impliquant potentiellement autant de force que nécessaire. »
Article réalisé dans le cadre du dossier de Grabuge sur les transports en commun à Lyon.
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