Cette année j’ai eu la mauvaise surprise de constater que mon bien aimée Master de Socio du travail s’était transformé en formation pour devenir le parfait RH.
Pas l’affreux manager qui exploite les employés, mais le gentil « talent » qui « suggère fortement » à ses « collaborateurs » de « s’investir complètement » dans cette « grande famille » qu’est l’entreprise, s’ils ne veulent pas être renvoyés … oops pardon, je voulais dire s’ils ne veulent pas « qu’on les laisse partir »
Les mots ont un sens, quoi qu’en pense la manager en face de moi au moment où j’écris. Collaborateur n’est pas un synonyme de salarié. Parce que je ne vous apprendrais rien en soulignant que dans le mot collaborateur, il y à collaborer, ce qui signifie travailler dans un but commun. Mais vous et votre entreprise n’avez pas de but commun, c’est même plutôt l’inverse.
C’est bien simple, votre entreprise souhaite vous exploiter en achetant votre force de travail le moins cher possible afin de réaliser les plus gros bénéfices imaginables, tandis que vous, vous ne souhaitez qu’une chose, vendre votre force de travail le plus cher possible, et éventuellement trouver un sens à la tâche ingrate que vous effectuez 35H00 par semaine, mais c’est une autre histoire.
Revenons-en au terme de collaborateur. Est-ce que lorsque vous travaillez dans votre job, alimentaire ou non, et que votre patron, tout collaborateur qu’il est vous demande de lui faire un café, vous vous sentez son égal ? Est-ce que quand votre manager vous reproche de partir chaque soir à l’heure pile vous avez l’impression d’être sur le même barreau de l’échelle sociale que lui ? Et quand vous regardez votre malheureuse fiche de paie, qui vous permet seulement de mettre un toit au-dessus de votre tête et de la bouffe dans votre assiette jusqu’au mois suivant, tandis que votre boite distribue, encore une fois, des dividendes records à ses actionnaires avez-vous la sensation d’œuvrer à un projet commun avec votre entreprise ? Non ? Et bien, félicitations, vous n’êtes pas un collaborateur, mais un prolétaire.
Les mots qu’on utilise pour la décrire modulent la réalité sociale autour de nous et ceux qui l’ont le mieux compris, sont sans doute ceux qui appartiennent à la classe dominante. Ainsi, lorsque des cotisations sociales deviennent des « charges patronales », il est bien normal de s’indigner de leur hausse, lorsque Renault met en place un Plan de Sauvegarde de l’Emploi on euphémise la cruelle réalité du licenciement de masse, et quand vous vous dites au chômage, n’oubliez pas que vous êtes en réalité bénéficiaire de l’assurance chômage pour laquelle VOUS avez cotisé.
Peut-être certain d’entre vous trouverons cela bien anecdotique, après tout, les mots ne sont que des mots et tout un chacun est libre d’y mettre ce qu’il veut. Dans ce cas, pourquoi et à l’initiative de qui, certains mots sont-ils remplacés par d’autres ?
Je ne vous ferais pas l’affront de vous proposer de (re)lire Orwell, ou pire Boltanski et Chiapello, tous deux sociologues du travail, ni même de regarder les 4h30 de conférence gesticulée de Franck Lepage, mais si les mots n’avaient aucun incidences sur le social, les « élites » qui nous gouvernent n’investiraient pas autant pour que nous fassions notre ces mots déconnectés, et qui convergent tous vers une chose qu’eux nomment sans doutes « Dialogue social » ou « Stratégie d’apaisements des tensions », mais que j’appellerais personnellement « négation de la lutte des classes » ou « annihilation du prolétariat »
Parce que c’est de ça dont il s’agit, en vous retirant les outils, d’abord pour vous penser comme une classe sociale, puis pour penser les dominants comme une classe antagoniste à la vôtre a l’aide de mots creux qui euphémisent la violente réalité du travail, le système capitaliste vous conditionne à accepter les inégalités qui le criblent sans même que vous puissiez les nommer.
Alors pour l’amour de Marx, refusez que l’on vous appelle un collaborateur.
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