Que ceux-ci soient aux ordres du gouvernement (radios et télés d’état) ou aux mains d’industriels, l’information sur ce mouvement social ne l’a été que sous l’angle des usagers ou d’une grève illégitime…
De nombreuses analyses circulent depuis un moment sur ce phénomène, qui, s’il a été particulièrement évident pendant ces dix derniers jours, n’est pas non plus complètement nouveau. Le site Acrimed notamment, depuis de nombreuses années, dénonce le phénomène de collusion entre journalistes, gouvernants et classes aisées, au détriment de l’information sur les problèmes sociaux et les luttes sociales. Un petit livre a même été publié sur le sujet cette année : Médias et mobilisations sociales.
Les critiques des médias, excellents vigiles de l’information qui peut être (ou ne pas être) donnée dans les médias « de masse » avertissent un nombre croissant de personnes et font pression à leur manière sur le journalisme de révérence.
Dans d’autres occasions, les médias peuvent être refusés (pendant les AG du CPE par exemple), ou sévèrement encadrés (pendant le G8 à Annemasse). CertainEs, comme le journal Le Plan B, recommandent aux militants des mouvements sociaux de ne pas répondre du tout aux médias qui les solliciteraient, de les boycotter.
Et tout le monde se plaint, en permanence, de la télé Bouygues, de France Intox, etc.
Mais, et le mouvement des cheminots vient de nous le démontrer, rien ne se passe, et les médias sont devenus beaucoup plus efficaces que des hordes de CRS sur les piquets de grève ou dans nos AG.
Pendant 10 jours, ils ont prétendu, en boucle, sur toutes les chaînes et toutes les fréquences, que le mouvement cheminot s’essoufflait (et il en faut du souffle pour s’essouffler aussi longtemps). Pendant 10 jours, ils ont donné en priorité la parole à des usagers « pris en otage ». Pendant 10 jours, la principale information sur ce mouvement était seulement l’importance de la « gêne occasionnée par la grève », avec des mensonges éhontés sur l’état du trafic (quel bonheur que d’entendre les statistiques des TER sur Lyon, quand on sait que pas un seul train ne circulait, qu’il n’y avait que des cars…). Ne parlons pas du flou des chiffres de grévistes, mêlant allégrement les pourcentages des cadres ou de la maîtrise très faiblement mobilisés à ceux des petites mains en grève jusqu’à 95 % sur Lyon, Marseille et ailleurs.
Aujourd’hui, ce qui est étonnant, ce n’est pas que les cheminots aient perdu. Ce qui est étonnant, c’est qu’avec ce matraquage permanent, ils et elles aient tenu si longtemps. Qu’illes aient eu la rage de continuer, uniquement grâce à la conscience de l’injustice qui leur était faite. On peut leur tirer notre chapeau aux cheminots…
Mais maintenant on fait quoi ?
À quoi cela sert-il de construire des mobilisations, d’organiser des manifestations, d’essayer de résister à cet ordre qu’on nous impose dans tous les domaines de la société ? Combien de temps faudra-t-il attendre pour que les journalistes se révoltent ? Combien de temps pour une loi sur la concentration dans les médias ? Combien de temps pour espérer pouvoir dialoguer avec celles et ceux qu’on ne croise pas dans nos luttes, dans la rue, sur les piquets, autrement qu’à travers ce prisme déformant et hostile ? Comment résiste-t-on à un tel rouleau compresseur ?
Le slogan d’Indymedia, une plateforme internationale de sites d’information alternative, c’est « Ne haïssez pas les médias, devenez un média ». Pourtant, il nous faut bien nous décider à les haïr ces médias en lesquels on ne peut avoir aucune confiance, qui ne sont définitivement pas du côté de celles et ceux qui luttent… Il nous faut bien nous décider à les haïr, pour qu’enfin une dynamique de construction d’autre chose se mette en place, pour qu’enfin nous nous donnions les moyens de ne plus dépendre vainement de porte-paroles définitivement hostiles, qui décident quand un mouvement peut commencer ou doit finir (surtout finir), qui jugent des revendications valables ou pas…
Mais pour l’instant, on ne se donne pas les moyens. On reste aveuglé par tant d’hostilité, on éprouve un peu de sympathie pour les potes qui se décarcassent pour diffuser un autre son de cloche sur leurs petits médias amateurs, et puis c’est tout… On est content de l’existence de quelques médias un peu critiques, on tape sur l’épaule des copains journalistes qui essaient de sortir un papier pas trop dégueu dans leur canard. Mais au final pas grand chose : aucune radio nationale, aucune télévision, aucun quotidien pour offrir un espace d’expression à celles et ceux qui résistent. Un tout petit soutien aux radios locales associatives. Des mensuels et hebdomadaires d’organisation qui déversent régulièrement leurs torrents d’analyse. Mais l’information au quotidien, celle qui est particulièrement nécessaire en temps de lutte, est la grande absente.
Il faut dire que du côté des médias alternatifs, la réflexion est également faiblarde.
Les indymedias français sont coincés dans une réflexion sur la spontanéité et la subjectivité de l’information qui ôte en général toute envie de les lire aux personnes non-averties, faisant en effet l’économie d’une information lisible et accessible par le plus grand nombre.
De l’autre côté, les militants d’une information critique (autour d’Acrimed, des rencontres pour des médias alternatifs…) sont engoncés d’une part dans un objectif de professionnalisation et d’obtention d’éventuelles subventions, et d’autre part dans une définition de l’« alternatif » cantonné à la seule indépendance capitalistique.
Sans parler du parisianisme mondain de la belle parole ou de la belle chronique, au détriment de la petite information autonome et indépendante sur un site comme Rezo.net
Il va bien falloir pourtant, pour faire face, mettre en place des médias d’information de masse au service de celles et ceux qui osent encore lutter.
Pour que vivent toutes les futures luttes de cheminots, et toutes les autres.
Ari
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