Illustration d’inégalités ordinaires...

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« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », dispose l’article 1 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. L’abolition des privilèges, la Révolution, c’était il y a plus de 200 ans. Et aujourd’hui ? Illustration d’inégalités ordinaires...

"Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits", dispose l’article 1 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. L’abolition des privilèges, la Révolution, c’était il y a plus de 200 ans. Et aujourd’hui ? Illustration d’inégalités ordinaires...

Ces gens-là sont solidaires et achètent du bio. Le papa est directeur général d’une boîte. La maman bosse pour une banque et « donne de l’argent aux entreprises », d’après le gamin. Ils sont propriétaires de leur appartement, un grand appartement, avec terrasse. Confortable. Deux WC, une petite salle de bain, une chambre pour chacun des deux garçons. une grande chambre pour les parents. Une salle-salon-cuisine américaine. Deux chats de race, qui valent chacun 800 euros parce que leur géniteur a gagné des concours internationaux ; la maman ne voulait pas de chat européen. Deux canapés, dont un en cuir blanc, dont les fauteuils s’allongent séparément sur commande, et le bas du canapé sort pour qu’on y pose ses pieds. L’écran plat tient une place centrale. Le soir, les gamins prennent le gouter en regardant la télé. Après manger, ils jouent sur l’I-pad et l’I-pod du papa pour se détendre, avant d’aller se coucher.

Ces gens-là emploient une femme de ménage, et deux baby-sitters. Une pour le mercredi, et une pour le soir. Les enfants se rendent dans une école privée, parce que c’est mieux fréquenté, et qu’il n’y a pas de grèves. Un jour, celui de 7 ans ½ s’est exclamé qu’au dehors, dans le jardin, il y avait des arabes. « il y a des arabes sur notre territoire ! ». ou encore qu’il fallait « tuer les voleurs ».

Tout à l’heure, avec le garçon de 9 ans ½, nous rentrions de la MJC, où il prend ses cours de guitare. Sur le chemin, il m’a montré une voiture, un gros 4x4. Il m’a affirmé que pendant les vacances, ils avaient acheté la même voiture, en « plus gros ».

Dans leur réfrigérateur américain, et dans leurs placards, il y a du bio - entre autres. Il y a aussi un pot en verre sur lequel est écrit « purée de noisettes ; produit bio et solidaire », et une petite boite de conserve « mousse de foie de canard au porto ».

Moi, je suis la baby-sitter du soir. Je me suis vu « interdire » le jus d’orange pour le goûter, « parce qu’après, il n’y en a plus pour le petit-déjeuner ». Pendant les vacances, j’ai reçu ma fiche de paie – mais pas ma paie, qui doit pourtant tomber en fin de mois. J’ai compté mes heures, et il en manque une. Une, payée à 7,83 euros. 7,83 euros qu’il va falloir que je réclame.

Alors aujourd’hui, dans leurs placards bien fournis, j’ai pris deux compotes. Et je les donnerai à quelqu’un. C’est ma façon à moi de redistribuer les richesses... Partager les profits...

Les inégalités se creusent. Un jour, tout leur pètera à la gueule.

« Hier, 22 février, j’allais à la Chambre des pairs. Il faisait beau et très froid, malgré le soleil et midi. Je vis venir rue de Tournon un homme que deux soldats emmenaient. Cet homme était blond, pâle, maigre, hagard ; trente ans à peu près, un pantalon de grosse toile, les pieds nus et écorchés dans des sabots avec des linges sanglants roulés autour des chevilles pour tenir lieu de bas ; une blouse courte et souillée de boue derrière le dos, ce qui indiquait qu’il couchait habituellement sur le pavé, la tête nue et hérissée. Il avait sous le bras un pain. Le peuple disait autour de lui qu’il avait volé ce pain et que c’était à cause de cela qu’on l’emmenait. En passant devant la caserne de gendarmerie, un des soldats y entra et l’homme resta à la porte, gardé par l’autre soldat.
Une voiture était arrêtée devant la porte de la caserne. C’était une berline armoriée portant aux lanternes une couronne ducale, attelée de deux chevaux gris, deux laquais en guêtres derrière. Les glaces étaient levées mais on distinguait l’intérieur tapissé de damas bouton d’or. Le regard de l’homme fixé sur cette voiture attira le mien. Il y avait dans la voiture une femme en chapeau rose, en robe de velours noir, fraîche, blanche, belle, éblouissante, qui riait et jouait avec un charmant petit enfant de seize mois enfoui sous les rubans, les dentelles et les fourrures.
Cette femme ne voyait pas l’homme terrible qui la regardait.
Je demeurai pensif.
Cet homme n’était plus pour moi un homme, c’était le spectre de la misère, c’était l’apparition brusque, difforme, lugubre, en plein jour, en plein soleil, d’une révolution encore plongée dans les ténèbres mais qui vient. Autrefois le pauvre coudoyait le riche, ce spectre rencontrait cette gloire ; mais on ne se regardait pas. On passait. Cela pouvait durer ainsi longtemps. Du moment où cet homme s’aperçoit que cette femme existe tandis que cette femme ne s’aperçoit pas que cet homme est là, la catastrophe est inévitable. »

Victor Hugo, Choses vues.

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  • Le 14 mai 2011 à 22:03, par d.

    ils sont responsables, tout de même. ils s’en rendent bien compte, quand ils te font ton chèque, tu sais... qu’ils bidouillent pour te payer, net, 6,96 de l’heure (eh oui, j’ai réclamé mon heure. j’ai appris qu’ils me l’avaient bien payée, mais qu’ils bidouillaient avec le site du CESU, et donc qu’ils indiquaient moins d’heures que ce que je faisais. je ne suis donc pas payée 7,83 ainsi que je l’indiquais, mais 6,96).

    le capitalisme ne fonctionne pas tout seul. derrière cette machine qui nous broie, il y a ces gens. ces gens qui ne veulent pas que leurs gosses aillent dans le public parce qu’il y a des grèves. ils ne veulent pas que leurs gosses aillent là où on peut encore s’exprimer... et c’est bien ces gens qui te paient à la fin du mois. qui redistribuent inégalement leurs richesses.

    évidemment, ils ne sont pas les « grands » responsables de ce système. mais ils en sont responsables, au moins partiellement, puisqu’ils y contribuent, puisqu’ils l’entretiennent. derrière ces gens-là, il y a d’autres personnes, bien plus puissantes, de celles qu’on ne croisera jamais dans « nos » rues... il y a tous ceux qui œuvrent à ce système, bien plus qu’eux.

    mais s’ils sont des petits rouages, ils sont toujours des rouages... tu ne crois pas ?

    amitiés

  • Le 12 mai 2011 à 18:35, par charly

    charmant article, qui me fait dire qu’on ne peut en vouloir aux riches d’avoir une vie confortable mais plutôt à l’organisation économique dans laquelle on vit, le monstre sans visage appelé capitalisme, d’être coupable par son fondement d’une inégale redistribution des richesses.

    j’aime beaucoup cette forme de sabotage, d’action à la robin des bois en volant la compote des riches pour en faire profiter ceux qui vivent moins bien.

    merci chère babysitter.

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