Grégory Doucet a largement fait campagne sur les thèmes de l’insécurité et du renforcement de la présence policière. Dans la droite ligne de sa posture sécuritaire, il passe à l’acte en annonçant que la ville va déployer un dispositif de vidéo-verbalisation dans le bas des Pentes et à la Guillotière. Objectif affiché : œuvrer pour « une ville apaisée » en luttant contre « les rodéos urbains », des course-poursuites motorisées, certes pénibles, mais franchement marginales, qui obsèdent littéralement le nouveau maire et les droitard·es rassemblé·es dans les associations Guillotière et Presqu’île en colère.
« Les rodéos urbains », entre nuisance sonore et stigmatisation
Doucet et ses équipes n’auraient pourtant pas eu à aller bien loin pour trouver une analyse équilibrée et documentée des « rodéos ». La sociologue lyonnaise Anaïck Purenne a récemment donné une interview à ce sujet au journal La Croix. Elle y explique que ces démonstrations à moto ou en voiture sont avant tout « une façon de tuer l’ennui entre personne du même quartier. »
Plus profondément, comme d’autres pratiques moins dangereuses (barbecues ou piscines sauvages), Anaïck Purenne explique que les rodéos viennent répondrent au fait que les jeunes des quartiers populaires sont souvent exclus des lieux de loisirs légitimes ou craignent de l’être, ce qui les amènent à inventer leurs propres pratiques de loisirs. C’est aussi, dit-elle, une manière de s’approprier l’espace public dans des lieux où ils ne sentent pas forcément les bienvenus et où les interactions avec les riverain·es ou la police peuvent être conflictuelles.
Enfin, si le rodéo est à l’évidence transgressif et risqué, c’est le propre de nombreuses pratiques adolescentes beaucoup moins stigmatisées. On n’a par exemple jamais vu d’élus ou d’associations de riverain·es blâmer les nuisances sonores récurrentes générées par les sorties de groupe alcoolisées des étudiant·es en médecine ou en école de commerce et qui se déroulent elles-aussi à la Guillotière ou dans les Pentes. Ces beuveries ne sont pourtant pas plus respectueuses des oreilles du voisinage que les défilés en moto.
Alors qu’il a récemment dégueulé son mépris des sciences sociales dans les colonnes de Lyon Capitale, on comprend que Doucet ne s’est pas intéressé à ce que ces rodéos révèlent de l’ennui estival ou des difficultés à trouver des lieux de loisirs lorsque l’on est noir ou arabe. En réalité, le maire de Lyon se contente d’ânoner des idées reçues. Manque de bol pour nous, ce sont ces idées indigentes qui servent de base à sa politique.
Derrière le vernis écologiste, une nouvelle étape vers la surveillance généralisée
Selon L’État français, « la vidéo-verbalisation s’appuie sur les dispositifs de vidéosurveillance installés dans l’espace public et permet de sanctionner à distance une infraction au code de la route. » Autorisée depuis 2008, elle est mise en œuvre dans une centaine de villes françaises.
Ce sont des agents assermentés, c’est-à-dire des flics nationaux ou municipaux vissés derrière des écrans de contrôle, qui constatent l’infraction et dressent les procès verbaux. L’État précise que « l’image du véhicule en cause est capturée pour identifier sa marque et lire les numéros de sa plaque d’immatriculation » et que le procès verbal est « transféré automatiquement au Centre national de traitement de Rennes (CNT) qui édite et adresse un avis de contravention au domicile du titulaire de la carte grise. » Le dispositif a déjà été expérimenté à Lyon en 2019, sur la Presqu’île, ainsi que dans les 2e, 3e et 7e arrondissements.
La vidéo-verbalisation est un pas supplémentaire vers une surveillance permanente. Ce sont des flics qui prennent la décision de coller ou non une amende aux contrevenant·es. L’étape suivante consiste à remplacer les humain·es par des intelligences artificielles pour suivre les véhicules et identifier les infractions, à l’image du système de vidéo-surveillance londonien. Ne reste ensuite plus qu’à appliquer un tel système aux humain·es, notamment grâce à la reconnaissance faciale. Si l’enchaînement de ces dispositifs n’est pas automatique et qu’il reste encore au maire de Lyon et à ses équipes quelques possibilités de flicage en plus, la vidéo-verbalisation marque clairement une nouvelle étape vers la surveillance généralisée.
« La ville apaisée », un fantasme autoritaire
Les nuisances sonores et le danger que représentent les véhicules motorisés pour les piéton·nes sont bien réels. Mais ne nous y trompons pas : une fois de plus, il s’agit d’un prétexte pour pratiquer un flicage ciblé.
Les territoires concernés autant que les populations visées par les futurs contrôles ne sont pas anodins. Que cela soit dans Pentes ou à la Guillotière, désigner « les rodéos urbains » comme problème majeur est une manière politiquement correcte de concentrer les contrôles sur une population déjà exposée : les jeunes hommes, pauvres, souvent racisés, des quartiers populaires. Cette focalisation est en droite ligne de la balade de campagne de Doucet à la Guillotière : il s’agit d’assumer une ligne policière qui vise les populations pauvres et immigrées, le tout au nom de « l’apaisement » de la ville.
Le terme de « ville apaisée », martelé par les Verts au pouvoir est une expression cache-sexe qui masque fort mal les fantasmes autoritaires de Doucet et de ses sbires. La figure de style n’est pas neutre : la « ville apaisée » est une lointaine cousine du « maintien de la paix » onusien et de la « pacification » coloniale. Partout où la police se maquille derrière un vocabulaire pacifiste se cache un même objectif : surveiller, maîtriser le territoire et mater la population locale.
Collomb, fan absolu de la vidéo-surveillance et autoritariste notoire, avait commencé les tests de ce type de dispositif. Une fois encore, la rupture annoncée n’a pas lieu et la nouvelle majorité marche dans les pas du vieux baron réac. Il n’aura pas fallu bien longtemps pour que le progressisme de façade des Verts ne laisse transparaître leur vraie nature : Doucet n’est qu’un petit caporal comme les autres.
Les écologistes atteré·es
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