D’abord la masse, énorme, indénombrable, inconnue à Lyon pour quelques mobilisations que ce soit. Certains annoncent déjà entre 150 et 200 000 personnes [1]. Le sentiment de vivre un moment historique, en cela qu’il aura des répercussions, bonnes ou mauvaises, sur l’avenir de notre société. Pas de slogans, des pancartes sur la liberté d’expression, quelques Unes de Charlie Hebdo, et les désormais coutumiers « je suis Charlie ». Seules des volées d’applaudissements venaient rompre le silence de la marche.
J’y suis surtout allé pour parler avec les gens, comprendre ce qui avait pu pousser une telle masse de personnes dans la rue, questionner les conséquences, à leurs yeux, de cet évènement sur notre société. Les premières réponses étaient prévisibles : liberté de la presse, refus du fanatisme, affirmation de principes d’égalité et de liberté certes quelque peu fantasmés, etc. En creusant un peu plus loin, le refus maintes fois répété de l’islamophobie, celui des récupérations des appareils politiques. Plusieurs personnes contentes également que le Front National ou les identitaires n’aient ni voix au chapitre ni discours audible. C’est bien la première fois que des drapeaux algériens ou tunisiens brandis dans une manifestation ne font pas débat [2] ! Une ambiance plutôt positive, des gens réunis pour un avenir commun, même s’ils refusent de voir que ce n’est pas le même pour tous.
Mais d’autres phrases entendues ont produit chez moi un frisson glacé. Des discussions plus inquiétantes, des gens approuvant les dernières déclarations de Cazeneuve sur de nouveaux dispositifs sécuritaires, plus de flicage, une fermeture des frontières, soi-disant « nécessaire ». Ceux trouvant déjà que la mort des trois takfiristes dans les assauts du RAID et du GIGN est une bonne chose, afin de ne pas avoir à les « libérer un jours », façon de rappeler que les sorties de Marine Le Pen sur la peine de mort ne constituent pas un risque si lointain ! Des remarques belliqueuses aussi, des refus de voir que le « pacte républicain » fabrique aujourd’hui des exclus à la pelle. Des appels à une structuration plus grande des institutions religieuses musulmane, comme si un embrigadement plus marqué, fut-il celui d’un islam « républicain », était la solution. L’impression que cette unité est aussi une façon de ne pas voir plus loin, de ne pas se projeter. Je passe sur le fait que cette mobilisation met aussi en lumière la faiblesse des cortèges pour d’autres causes et luttes pourtant tout aussi louables…
Voilà très brièvement ce que j’ai pu voir et entendre, ressentir, aujourd’hui. Je crains qu’on ne puisse pas en tirer de conclusion pour l’avenir. Les grandes mobilisations ponctuelles tiennent plus du symbole, de l’émotion que de l’engagement, et il y a fort à parier qu’une partie importante des manifestants ne s’impliqueront pas dans les évolutions futures. On m’a dit aujourd’hui un nombre incalculable de fois : « il faut se mobiliser » ou « il faut s’engager », peu ont pourtant été capables de me dire ce que signifiait leur engagement au-delà de leur participation au cortège dominical.
Aujourd’hui cette mobilisation nationale n’engage finalement pas à grand-chose, une grande scénographie républicaine, de l’émotion accumulée, du symbolisme au kilo.
Mais demain ?
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