Pourquoi peut-on dire que les Palestiniens subissent un génocide ?

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Palestine

« Il s’agit d’un cas d’école de génocide ». Voici les mots de Craig Mokhiber, haut fonctionnaire de l’ONU, à propos de la situation à Gaza lors de sa démission le 1er novembre. Il les a prononcés alors que beaucoup se gardaient de parler de génocide des Palestiniens. Cet article s’attèlera donc à démontrer en quoi la politique de l’entité sioniste contre eux depuis 1948 est bel et bien génocidaire.

Avant toute chose, nous tenons à préciser que notre raisonnement s’inscrit dans un cadre théorique et non juridique : notre démonstration se base sur la définition du terme génocide par Raphael Lemkin et non sur celle que l’ONU a adoptée. En effet, nous trouvons la définition du juriste polonais (qu’il évoque dès 1944 dans son ouvrage Axis Rule in Occupied Europe) plus complète car, à l’inverse de celle admise par le droit international, elle ne se concentre pas seulement sur l’élimination physique des membres du groupe ethnique visé mais inclut aussi le projet d’effacement de tout ce qui est susceptible de les représenter.

Voici donc la définition en question : « Par « génocide », nous entendons la destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique. [...] En règle générale, le génocide ne signifie pas nécessairement la destruction immédiate d’une nation, sauf lorsqu’il est réalisé par des meurtres en masse de tous les membres d’une nation. Il entend plutôt signifier un plan coordonné de différentes actions visant à la destruction de fondements essentiels de la vie de groupes nationaux, dans le but d’exterminer les groupes eux-mêmes. Un tel plan aurait pour objectifs la désintégration des institutions politiques et sociales, de la culture, de la langue, des sentiments nationaux, de la religion et de la vie économique de groupes nationaux, ainsi que la suppression de la sécurité personnelle, de la liberté, de la santé, de la dignité, voire de la vie des personnes appartenant à ces groupes. ». L’objectif de cet article sera de démontrer, point par point, pourquoi nous pouvons parler de génocide pour décrire ce que vivent les Palestiniens depuis plusieurs décennies et comment l’entreprise sioniste a mis en place un plan d’anéantissement de la société palestinienne.

1) La “désintégration des institutions politiques et sociales”

Premièrement, les institutions politiques et sociales palestiniennes sont constamment piétinées par Israël depuis sa création, ce qui témoigne de son désir de les annihiler. 3 exemples particulièrement frappants illustrent ce point :

Le premier est la proclamation de l’État d’Israël le 15 mai 1948. Elle fait écho à la promesse de Balfour en 1917 et au plan de partition de l’ONU de 1947 et témoigne d’un mépris profond pour les institutions palestiniennes. En effet, lors du Congrès syrien de Damas du 7 mars 1920 (auquel ont assisté plusieurs dirigeants palestiniens), une résolution contenant l’affirmation suivante a été votée : « Nous [représentants de la nation arabe] repoussons les prétentions sionistes de faire de la Palestine un foyer national pour les Juifs ou un lieu d’immigration pour eux ». La proclamation de l’état d’Israël s’est donc faite sur la base d’un plan de partition de l’ONU voté sans les Palestiniens (et sans la majorité des pays du tiers-monde par ailleurs) alors même qu’ils avaient exprimé leur opposition à ce projet de colonisation de leurs terres depuis des décennies.

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Le deuxième est la non-reconnaissance de l’Etat palestinien (que ce soit de la part d’Israël ou de ses complices occidentaux) alors même qu’il a été proclamé il y a 35 ans de cela en 1988 à Alger et qu’il est reconnu par la majorité des états membres de l’ONU. Cette négation de l’existence même de l’Etat palestinien, invisibilise totalement l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) (qui regroupait en 1988 la quasi-intégralité des organisations politiques palestiniennes et représentait ainsi le peuple palestinien dans son ensemble) et lui retire tout pouvoir légitime en tant qu’institution politique.

Le troisième est le blocus inhumain imposé à Gaza depuis l’arrivée au pouvoir du Hamas en 2007. Au-delà des milliers de victimes qu’il a engendrées, ce blocus ôte toute forme de légitimité à un parti politique qui a été élu démocratiquement et vise à culpabiliser les Gazaouis d’avoir voté pour ce dernier. Ce piétinement du processus électoral palestinien par l’entité sioniste traduit encore une fois une volonté de faire disparaître les institutions politiques et sociales palestiniennes.

2) “Désintégration [...] de la culture, de la langue, des sentiments nationaux, de la religion”

Il ne faut jamais perdre de vue que le colonialisme de peuplement va de pair avec un projet d’effacement de la présence du groupe colonisé sur la terre en question. Cela passe par une “désintégration”de la culture, de la langue, du sentiment national et de la religion du groupe colonisé. Le projet d’effacement du peuple palestinien ne fait pas exception. Il s’est mis en place à travers des milliers d’exemples. En voici quatre :
Dans le cadre de la “désintégration”de la culture palestinienne, la stratégie israélienne s’apparente à de l’effacement par réappropriation. Cela est particulièrement visible quand on se penche sur la cuisine “israélienne”. Tous les plats en étant supposément issus (houmous, knafeh, mloukhiya etc…) sont en réalité palestiniens. Cela expose une réalité incontestable : pour exister, la culture “israélienne” a besoin de voler et surtout d’effacer la culture palestinienne.

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En ce qui concerne la langue, l’immense majorité des cursus d’études supérieures en Palestine (que ce soit en Cisjordanie, dans la bande de Gaza ou dans les territoires de 1948) est enseignée en anglais ou en hébreu. D’une part, cela permet à Israël de freiner l’émancipation intellectuelle des Palestiniens qui ne parlent qu’arabe et d’autre part cela s’inscrit dans une volonté de retirer au peuple palestinien un aspect fondamental de son identité : sa langue.

Pour ce qui est du sentiment national, un exemple est particulièrement parlant : le traitement du drapeau palestinien par les forces d’occupation. Les Palestiniens qui osent le porter sont fréquemment molestés par la police et Israël interdit officiellement de l’arborer dans les territoires occupés à Jerusalem et en Cisjordanie depuis 1967.

Enfin, concernant les religions majoritaires au sein du peuple palestinien, à savoir l’islam et le christianisme, leur pratique est rendue extrêmement compliquée par la barbarie des forces d’occupation. Entre les saccages de la mosquée Al Aqsa (3° lieu saint de l’islam), les églises vandalisées par les colons et le tri qui s’opère à l’entrée de ces dernières notamment lors des festivités de Pâques à Jerusalem (où tout fidèle arabophone se voit refuser l’entrée), l’entité sioniste ne ménage pas ses efforts pour empêcher les Palestiniens d’exercer tout autre culte que le judaïsme dans le but de leur ôter un autre aspect fondamental de leur identité : leurs religions.

3) "Désintégration [...] de la vie économique de groupes nationaux, ainsi que la suppression de la sécurité personnelle, de la liberté, de la santé, de la dignité”

Troisièmement, Israël, à travers sa politique d’apartheid dénoncée depuis des décennies par la société civile palestinienne et reconnue par des ONG telles que Human Right Watch ou Amnesty International, refuse d’accorder aux Palestiniens leurs libertés fondamentales, l’accès à la santé et un semblant de vie économique. Encore une fois, voici des exemples de cette entreprise de destruction des Palestiniens.

La liberté de circuler est l’une des libertés les plus élémentaires. Pourtant, celle des Palestiniens est tellement bafouée par Israël qu’elle est quasiment inexistante. Nous faisons ici référence aux Palestiniens vivant en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza et ne possédant pas la nationalité israélienne. Les Palestiniens de Gaza vivent dans une prison à ciel ouvert, ni plus ni moins. Sortir de cette dernière relève de l’exploit. Pour celles et ceux de Cisjordanie, les checkpoints qui leur sont imposés sont un véritable scandale, ils peuvent rallonger des trajets qui nous paraissent anodins (visites familiales, école, activités extrascolaires...) de plus de 3 heures ! À cette destruction des libertés de déplacement des Palestiniens à l’intérieur de leur pays s’ajoute le refus du droit au retour des réfugiés palestiniens qu’Israel a nettoyés ethniquement depuis 1948. L’ONU en dénombre plus de 5,9 millions à Gaza, à Jerusalem, en Cisjordanie et dans les pays frontaliers de la Palestine. Il est aussi important de noter qu’elle affirme, notamment à travers la résolution 3236, que leur droit au retour est inaliénable. Pourtant, l’entité coloniale israélienne continue de les empêcher de rentrer chez eux et les force à vivre dans des camps de réfugiés insalubres en méprisant totalement le droit international. En termes de “désintégration de libertés fondamentales”, difficile de faire pire...

L’accès à la santé est aussi un droit fondamental dont bon nombre de Palestiniens ne jouissent pas. Prenons l’exemple des habitants du Naqab (« Neguev » pour les colons) : bon nombre de leurs villages ne sont pas reconnus officiellement comme des zones résidentielles par Israël, ce qui empêche les habitants en question d’être recensés et donc d’avoir droit à une quelconque forme d’assurance maladie. En plus de constamment courir le risque de se faire expulser arbitrairement par des colons israéliens venus des quatre coins du monde, les habitants de ces régions ne sont pas du tout pris en charge en cas de maladie.

En ce qui concerne la vie économique, le constat est sans appel : les Palestiniens ne gèrent pas les arrivées sur leurs territoires, ils n’ont pas d’aéroports, ne peuvent ni importer ni exporter des ressources sans passer par les forces occupantes et sont frappés de plein fouet par le chômage (dont le taux était de 45,3% à Gaza en 2022). L’entité sioniste tente par tous les moyens (y compris le blocus) de réduire leurs activités économiques à néant.

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4) “Suppression [...] de la vie des personnes”

Quatrièmement, il ne faut pas oublier que la colonisation israélienne annihile aussi physiquement le peuple palestinien. Voici quelques exemples de massacres de grande ampleur menés par l’entité sioniste :

Le massacre de Deir Yassin. Le 9 avril 1948, des commandos armés menés par Menahem Begin (futur premier ministre israélien) ont fait irruption dans le village palestinien et y ont massacré 240 personnes : hommes, femmes et enfants. Dans une lettre qu’il a publiée le 4 décembre de la même année, Albert Einstein fait part de son horreur face à ce crime immonde, il y écrit notamment que « Par son organisation, ses méthodes, sa philosophie politique et son discours social le « Herout » (Parti politique de Begin à l’époque) ressemble aux partis nazis et fascistes ».

Les massacres de Sabra et Chatila. Le 16 septembre 1982, des milices phalangistes libanaises et des divisions de l’armée d’occupation israélienne sous le commandement du général israélien Ariel Sharon entrent dans ces camps de réfugiés palestiniens situés dans la banlieue de Beyrouth. Deux jours durant, les soldats égorgeront hommes, femmes et enfants dans une barbarie indescriptible. Ces massacres seront qualifiés par la suite d’actes de génocide par l’ONU (Résolution 37/123/D votée le 16 décembre 1982 : « L’Assemblée générale décide que le massacre [de Sabra et Chatila] a été un acte de génocide ». Pour comprendre l’ampleur du massacre il faut (re)lire Genet : “D’un mur à l’autre d’une rue, arqués ou arc-boutés, les pieds poussant un mur et la tête s’appuyant à l’autre, les cadavres, noirs et gonflés, que je devais enjamber étaient tous palestiniens et libanais. Pour moi comme pour ce qui restait de la population, la circulation à Chatila et à Sabra ressembla à un jeu de saute-mouton. Un enfant mort peut quelquefois bloquer les rues, elles sont si étroites, presque minces et les morts si nombreux.” Sur la responsabilité de l’entité sioniste, voici les paroles d’un certain “H.” : “Nous accusons Israël des massacres de Chatila et de Sabra. Qu’on ne mette pas ces crimes sur le seul dos de leurs supplétifs Kataëb. Israël est coupable d’avoir fait entrer dans les camps deux compagnies de Kataëb, de leur avoir donné des ordres, de les avoir encouragés durant trois jours et trois nuits, de leur avoir apporté à boire et à manger, d’avoir éclairé les camps la nuit.”

Enfin, il y a récemment l’opération « bordure protectrice » de 2014 durant laquelle les forces aériennes sionistes ont méthodiquement bombardé Gaza durant des semaines, ne laissant aucun répit aux populations civiles. Cette opération a été qualifié par le tribunal indépendant Sartre-Russel (également connu sous le nom de “Tribunal international des crimes de guerre”, c’est un tribunal d’opinion originellement fondé par Jean-Paul Sartre et Bertrand Russell à Londres en 1966 pour dénoncer la politique meurtrière des États-Unis au Vietnam et qui se réunit depuis pour statuer sur des crimes de guerre de la part de puissances colonialistes), lors d’une audience exceptionnelle réalisée en septembre 2014 d’ « incitation au génocide ».

Voici comment Israël s’attèle, depuis sa création, à anéantir tous les pans de la société palestinienne, de ses institutions politiques à ses citoyens en passant par sa langue, sa religion ou encore ses libertés. Tout cela nous amène à la conclusion suivante : l’horreur qui frappe Gaza depuis trois semaines n’est pas à considérer comme un ensemble d’exactions isolées, mais comme le fruit de la politique génocidaire menée par l’entité sioniste à l’encontre du peuple palestinien depuis 1948.

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