S’il reste de cet épisode exceptionnel de l’histoire irlandaise surtout la figure mythique de Bobby Sands, il convient de replacer l’ensemble de cette lutte dans ce qu’était la stratégie de l’état britannique qui tentait de criminaliser l’ensemble du mouvement républicain.
Un peu d’Histoire :
La création de l’état nord irlandais en 1920 et la partition de l’Irlande (obtenue grâce à une contre révolution –dite guerre civile– dans le Sud du pays) avaient semblé figer une fois pour toute les frontières du pays. C’était sans compter que l’état nord irlandais, portait en lui, dès sa création, une structure de type colonial basée sur la discrimination entre les communautés, des pouvoirs spéciaux et un accaparement de la vie politique par les Unionistes.
Le conflit nord irlandais entre 1969-1998, nommé par euphémisme « troubles d’Irlande du Nord », commence à partir de simples revendications démocratiques, mais celles ci, en elles mêmes, déstabilisent les bases du pouvoir en place. En quelques mois la contestation fait imploser le pouvoir local. L’intervention de l’armée britannique censée « séparer les communautés » est, en fait, l’instrument qui permet le maintien du pouvoir unioniste. Dès lors, la lutte pour la réunification de l’Irlande, menée par le mouvement républicain, prend le pas sur les réformes. C’est une lutte politique menée par différents partis mais aussi une lutte armée mené par l’IRA (Armée républicaine Irlandaise) puis à partir de 1975 par un autre groupe de moindre importance l’INLA (Irish Nationale Liberation Army).
Dès lors le nombre de prisonniers politiques a été presque immédiatement très important. Environ 3000 pour une population d’un million et demi d’habitants. Toutefois l’immense majorité provenait de la communauté catholique/nationaliste qui représentait alors, environ 38 à 40 % de la population.
A partir d’août 1971 l’internement sans procès est rétabli. Toute personne « suspecte » peut être interné sur simple décision administrative, sans procès, pour un temps indéterminé : quelques semaines, quelques mois, des années. Les internés sont rassemblés dans un ancien camp militaire proche de Belfast Long Kesh.
En 1972, une grève de la faim de prisonniers républicains parvient à arracher un statut de catégorie spéciale à l’administration britannique. De fait, ce statut donne aux prisonniers l’équivalent de celui de prisonnier de guerre. 120 en bénéficient en 1972, 1000 à la fin de 1974, début 1976 ils sont 1500.
Or, durant ces années, la période politique, est dominée par la fin de la guerre du Viêt Nam. Celle ci a été la référence des luttes de libération à travers le monde, et le soutien mondial dont le « vaillant peuple vietnamien » a bénéficié est à lui seul un élément fondamental pour comprendre la défaite des USA. Il convient donc alors pour les pouvoirs en place de tirer les conséquences de ce qu’ils considèrent comme un désastre politique. Dès lors, les luttes de libération deviennent le « terrorisme international » qu’il convient de dépolitiser au maximum. La politique de criminalisation est en marche et l’Irlande du Nord sera un des terrains d’expérimentation de cette nouvelle stratégie.
En 1975 le rapport Gardiner critiquait vertement la mise en place du statut de catégorie spéciale et préconisait un système carcéral traditionnel.
Dans le camp de Long Kesh les premiers bâtiments cellulaires sont construits, leur architecture est en forme de H.
La lutte des blocs H – 1976-1981
Le 1er mars 1976, le statut de prisonnier politique est supprimé en même temps que l’internement sans procès.
Désormais les nouveaux prisonniers sont incarcérés dans ces nouveaux bâtiments, les blocks H et doivent porter un uniforme carcéral. En septembre le premier prisonnier républicain Kieran Nugent, 18 ans, refuse ce traitement, il déclare aux gardiens qu’il leur faudra lui clouer cet uniforme sur le dos plutôt qu’espérer le voir le porter un jour. Il se retrouve nu dans sa cellule, il s’entoure de sa couverture : la blanket’protest commence. Chaque nouveau républicain rejoint le mouvement, à Noël 1976 ils sont 40 protestataires. En 1978, ils sont 300 blanketmen. Les prisonniers privés de promenade, voire de visite, subissent de multiples pressions, humiliations et tabassages de la part des gardiens. Ils refusent de vider leur tinette puisqu’à chaque fois cela occasionne la violence des gardiens. Ils étalent leurs excréments sur les murs de leur cellule c’est la dirty’protest.
Ce mouvement de protestation inédit a pour but de réclamer le rétablissement du statut de prisonnier politique à travers les 5 demandes :
le droit de ne pas porter l’uniforme carcéral,
l’exemption du travail obligatoire,
droit d’association,
droit aux visites et au courrier,
rétablissement des rémissions de peine.
Malgré un vaste mouvement de soutien en Irlande et dans le monde, le gouvernement britannique avec désormais à sa tête, Margaret Thatcher, refuse toute concession. Dans les blocks H les prisonniers sont conscients que cette épreuve de force ne peut s’éterniser. Des jours, des semaines des mois voire des années pour certains enfermés nus avec une couverture pour seul vêtement, 24/24h dans des cellules putrides, pieds nus sur le ciment, entourés d’excréments et d’immondices ne peut s’éterniser éternellement. Malgré les conseils de leurs camarades à l’extérieur les prisonniers prennent eux même une décision irrévocable. Le 27 octobre 1980, sept prisonniers (6 de l’IRA et 1 de l’INLA) entament une première grève de la faim. Ils sont rejoints le 1er décembre par 3 prisonnières de l’IRA de la prison d’Armagh. Une vaste campagne de solidarité se met en place de part le monde. Le 18 décembre sur la base de promesses, non écrites, alors qu’un prisonnier est mourant, la décision est prise de cesser la grève de la faim.
En janvier 1981, il est clair que les cinq demandes n’ont pas été accordées. Le 4 février une déclaration des prisonniers affirme que rien n’étant modifié, une nouvelle grève de la faim aura lieu. Le 1er mars, Bobby Sands refuse toute nourriture, il sera rejoint, à intervalle régulier par d’autres prisonniers. Bobby Sands, jeune ouvrier de Belfast, plusieurs fois emprisonné écrit et fait sortir clandestinement des textes publiés dans l’hebdomadaire Republicans News sous le pseudonyme Marcella (le prénom de sa sœur). Ses textes et ses poèmes seront aussi une part de la légende qui l’entourera dès les premiers jours de la grève de la faim.
Ils sont disponibles à : https://www.bboykonsian.com/attachment/183347
Bobby Sands député au parlement britannique.
Un événement exceptionnel va alors bouleverser la situation. Une élection locale dans une circonscription nord irlandaise a lieu à la suite du décès d’un député nationaliste. Bobby Sands est élu le 9 avril, au 40e jour de grève de la faim, il est membre du parlement britannique. Alors que depuis des années la propagande britannique affirmait que les républicains ne représentaient qu’eux même, un des leurs remportait une élection. Mais, à la stupéfaction générale, rien n’ébranle le premier ministre Margaret Thatcher, le 5 mai malgré les protestations mondiales Bobby Sands meurt au 66e jour de grève de la faim. Neuf autres prisonniers mourront de mai à fin août.
Peinture murale à Belfast : A gauche poing levé Kieran Nugent, derrière lui Mairead Farell gréviste de la faim à la prison pour femme d’Armagh (abattue par les SAS à Gibraltar le 6 mars 1988). Les 10 grévistes de la faim décédés en 1981. Sur les affiches Frank Stagg, 34ans, mort après 62 jours de grève de la faim en Angleterre en 1976 et Michael Gaughan mort à 24 ans après 64 jours de grève de la faim en Angleterre. On aperçoit aussi le visage de Brendan Hugues « The dark » animateur de la première grève de la faim de 1980
A partir du mois de septembre, dès que leur fils sombre dans le coma, les familles interviennent pour demander des soins et ainsi mettre un terme au jeûne.
Le 3 octobre une déclaration proclame l’arrêt du mouvement.
Dans les semaines suivantes la plupart des revendications seront accordées sans que le gouvernement britannique reconnaisse officiellement qu’il s’agit d’un statut politique.
A partir de l’élection de Bobby Sands le parti républicain Sinn Fein passera d’une politique abstentionniste à une politique plus offensive sur le plan
électoral devenant ainsi aujourd’hui un des premiers partis institutionnels d’Irlande.
La paradoxe de cette période est qu’au début 1976, l’IRA connaissait une des plus graves crises de son histoire, suite à une période de cessez le feu mal gérée, en 1975. En lui offrant, en quelque sorte, un nouveau front de combat à travers la question des prisonniers et du statut politique les Britanniques ont non seulement revigoré l’organisation républicaine mais ont aussi donné une impulsion décisive à la solidarité internationale.
Aujourd’hui Bobby Sands est une figure mythique de l’histoire de l’Irlande contemporaine célébré y compris dans les documents du très officiel office du tourisme irlandais.
Margaret Thatcher est décédée le 8 avril 2013. Sa mort a donné lieu a de multiples célébrations de joie à travers tout le Royaume Uni.
Plusieurs films retracent cette période de l’Histoire :
Hunger (2008)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Hunger_(film,_2008)
H 3
https://en.wikipedia.org/wiki/H3_(film)
Some mother’s sons
https://en.wikipedia.org/wiki/Some_Mother%27s_Son
Les évadés de Maze retrace l’évasion de long Kesh en 1983
https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_%C3%89vad%C3%A9s_de_Maze
Il existe d’innombrables chansons à la mémoire des grévistes de la faim, en voici quelques unes :
SONG FOR MARCELLA écrit par Brendan Bik McFarlane qui remplaça Bobby Sands comme « officier commandant » des prisonniers républicains.
The Peoples own Mp – Le député du peuple –
La ballade de Joe McDonnell
The roll of honour (en l’honneur des 10 grévistes de la faim) toujours chantée dans les stades aujourd’hui.
Extrait non de la BD elle même mais de l’art-book qui précède le roman graphique lui même.
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