Il faisait chaud ce mercredi après-midi, et la tension policière dans la salle G du TGI de Lyon était visible (remarque insultante destinée au porteur d’un T-shirt apparemment pas au goût des forces de l’ordre, menaces d’expulsion de la salle à l’encontre d’une personne du public, expulsion d’un policier dont son portable sonnait...). Au programme de l’après-midi, les audiences des quatre inculpéEs placéEs en détention préventive depuis leur jugement en comparution immédiate datant du 2 mai.
Détail des audiences
Virginie.
Interpellée place des Terreaux, les chefs d’accusation retenus contre elle étaient sûrement les plus graves : « résistance avec violence sur quatre agents de la force de l’ordre », « appel à la rébellion » et « tentative de vol de l’arme d’un agent de la force de l’ordre ».
Les quatre agents de la BAC ayant porté plainte contre elle étaient bien évidemment présents en tant que partie civile, deux d’entre eux portant encore de gros bandages à la main droite (étrange, puisque d’après l’article de Jean-Didier Dérhy du Progrès, un seul des policiers bénéficiait d’un arrêt de travail, d’une durée de 15 jours qui plus est). À voir le gabarit de ces agents, on ne peut d’ailleurs comprendre comment ils ont pu avoir tant de mal à maîtriser Virginie.
Heureusement, grâce au travail impressionnant de la part du compagnon de Virginie, en lien avec le collectif de soutien, l’avocate de celle-ci a pu présenter au tribunal deux photos ainsi qu’une bande vidéo montrant l’arrestation tout à fait illégitime de Virginie. L’avocat de la partie civile (Me Versini), visiblement gêné aux entournures, dans un élan de magnanimité, n’a pas objecté à la consultation et l’analyse de ces documents. En conséquence, le tribunal a demandé un supplément d’information et une enquête de l’IGPN, ce qui reporte le procès de Virginie au 6 juillet prochain. Après une courte délibération, le tribunal a accordé la remise en liberté (sous contrôle judiciaire bien entendu) de Virginie jusqu’à cette prochaine échéance.
En somme, un bilan plutôt positif pour cette première affaire. Mais cet optimisme allait bien vite disparaître.
Alexandre.
Alexandre faisait partie des cinq personnes interpellées autour de la place Saint-Paul. Contre lui étaient retenues les charges de « jets de bouteilles et d’une chaise sur quatre agents de la force publique ». Les quatre policiers, membres du GAPP, se sont bien évidemment portés partie civile.
Alexandre a reconnu les faits, tout en disant qu’il s’agissait d’un geste « idiot ». L’avocat de la partie civile (toujours Me Versini, qui s’est fait une spécialité de la défense des policiers) se fit alors un plaisir de condamner la violence « inexcusable » du jeune homme,
en s’égosillant qu’il faut que justice soit rendue. Il en profitera au passage pour ressortir l’épouvantail anarchiste du placard. Il termine son réquisitoire en demandant que le prévenu verse 500€ de dommages et intérêts à chaque policier, même si, ajoute-il, il ne se fait pas d’illusion et sait très bien que le prévenu n’aura jamais les moyens de payer une telle somme.
Le procureur quant à lui requiert une peine de 8 mois de prison, mais tient tout de même à précisier en réponse à la partie civile que « être anarchiste n’a jamais été un délit [NDLA : et pourtant si !], tout comme participer à une manifestation ».
Enfin, l’avocate d’Alexandre, au lieu d’expliquer dans quelles conditions ont eu lieu ces affrontements avec les forces de l’ordre, commence par affirmer que son client n’appartient pas à la mouvance « anarchico-libertaire » (chouette, encore un mot nouveau, après l’« anarcho-libertaire » de Jean-Didier Dérhy !), puis embraye sur le fait qu’ils étaient « une quarantaine » à lancer des canettes sur la place Saint-Paul (en reprenant les chiffres énormément éxagérés donnés par les policiers), et qu’il est donc impossible que les quatre policiers aient pu identifier Alexandre comme l’auteur spécifique des lancés de canettes qui les ont touchés. Bref, une ligne de défense bien timorée et sans grande conviction.
Alexandre sera donc au final condamné à 6 mois de prison dont 4 avec sursis, ainsi qu’à verser une amende totale de 1250€ (200€ de dommages et intérêts par policier « victime », plus 450€).
Philippe et John.
Étrangement, ces deux personnes, elles aussi arrêtées à proximité de la place Saint-Paul, furent entendues lors de la même audience. Cela sentait une certaine volonté d’amalgamme pour eux deux, alors que pour les autres on a fait des procès individualisés. Les chefs d’accusation retenus contre eux étaient d’ailleurs les mêmes : « jets de bouteilles sur deux agents de la force publique ». Cependant, ici, pas de partie civile. Les « victimes » de ces jets n’étaient d’ailleurs même pas dans la salle.
Philippe ne reconnaît que le fait d’avoir avancé un caddie en direction des forces de l’ordre, mais qui a été retenu par d’autres personnes. John quant à lui nie l’accusation qui est portée contre lui d’avoir lancé des bouteilles. Il reconnaît avoir renversé d’un coup de pied une poubelle qui contenait des bouteilles en verre, mais en aucun cas s’en être saisi et les avoir lancées. Ceci concorde même avec la déposition d’un des policiers, qui affirme avoir « vu John asséner un coup de pied à une poubelle, renversant ainsi des bouteilles qu’elle contenait et dont se sont emparés ses amis pour les lancer alors ». Après avoir entendu les deux prévenus, leur propre avocat décide alors à la surprise générale de leur demander s’ils sont des « anarchistes » ! Incroyable !
Suite à la réquisition du procureur qui demande 4 mois à l’encontre de Philippe, et 10 mois contre John, leur avocat met en avant l’incohérence des accusations avec les dépositions des policiers, qui affirment eux-mêmes ne pas pouvoir affirmer formellement que Philippe et John ont bien pris part aux jets de canettes.
Au sortir des délibérations, Philippe récolte 4 mois de prison dont 3 avec sursis, et John écope de 4 mois ferme, en raison de ses antécédants judiciaires selon le tribunal.
Une bien belle justice
Emprisonné pendant quatre mois pour une poubelle renversée !!!
Au-delà des verdicts inadmissibles, ces audiences ont été émaillées par de nombreuses perles de la part des magistrats qui en disent long sur l’état actuel de la justice française et la dangereuse direction qu’elle suit depuis quelques années déjà.
D’ordinaire, c’est en maison de justice que ce genre d’affaires est traité. De plus, il eut été plus logique de regrouper toutes ces affaires en un seul et même procès, et c’est ce qui se fait habituellement, mais peut-être que les policiers s’y retrouvent mieux au niveau de leurs dédommagements avec plusieurs jugements individualisés.
Du trop peu de savoir faire en la matière des avocatEs commisES d’office de la défense.
Si l’avocate de Virginie a bien fait son boulot, on ne peut pas vraiment en dire autant des deux autres, qui ont tout de même occulté un point très important de leur ligne de défense. En effet, rien n’a été dit ni même évoqué sur un possible lien entre l’arrestation de Virginie place des Terreaux, et l’altercation qui eut lieu plus tard à Saint-Paul. Est-ce vraiment un hasard que les manifestants qui restaient place Saint-Paul, encore sous le choc de l’interpellation violente et injustifiée de leur camarade, aient pris peur et réagi de manière défensive ? Rien n’a été dit par ces avocats sur l’illégalité de l’intervention lorsque les policiers ont chargé sans sommations place St Paul.
Au lieu de poser ce genre de questions qui permettent une réelle défense, les avocatEs ont préféré jouer la carte de l’homme de loi bien élevé qui fait profil bas et évite de déranger un système bien huilé.
De la religion du travail.
Tout au long des audiences, le président du tribunal n’a en effet pu s’empêcher de s’enquérir avec insistance sur la situation d’emploi de chacunE des prévenuEs. Outre le fait que ces informations n’aient aucun rapport avec les affaires, il s’est ensuite permis de s’étonner ouvertement à chaque reprise que ces prévenuEs n’aient pas de travail stable. Il a même demandé à John comment cela se faisait qu’il n’ait pas obtenu un seul CDI. S’en suivait alors une litanie vaseuse sur la nécessité d’avoir un emploi, comme si le fait d’être au chômage ou réduit à rebondir de contrat précaire en contrat précaire était une faute grave, voire un signe d’anormalité, de marginalité (voir plus bas). Il n’était alors pas surprenant de constater que toutes les peines prononcées étaient accompagnées d’une obligation de trouver du travail.
De la marginalité.
C’était aussi un point qui est revenu plusieurs fois dans la présentation des faits effectuée par le président du tribunal. Alexandre, Philippe et John ont donc été ouvertement traités de « marginaux » par ce même président. Celui-ci s’est même acharné sur Alexandre, en insistant sur le fait qu’il était plus ou moins sans domicile fixe.
Du fantasme du groupuscule anarchiste casseur de flics.
Le mot « anarchiste » fut lancé la première fois par Me Versini lors de son réquisitoire contre Alexandre. Voulant sûrement associer le prévenu à un fantasmagorique complot de grande ampleur, l’avocat de la partie civile ne put s’empêcher de parler de groupuscules qui maintiennent des sites Internet sur lesquels ils se déclarent « solidaires » des prévenuEs, et cite à ce propos le titre de l’article en page d’accueil de Rebellyon.
Il en fut ensuite de son discours contre les réponses, qualifiées « d’insultes proférées », sur ces mêmes sites à l’encontre du journaliste du Progrès Jean-Didier Dérhy, qui lui au moins « fait très bien son travail ». Vous remarquerez d’ailleurs l’absence totale de lien entre ces propos et l’affaire, ce que le président a d’ailleurs dû lui-même rappeler.
Malheureusement, le mot était lâché, et malgré le procureur qui répétait à qui voulait l’entendre que l’anarchisme n’était pas un délit, les avocatEs se sont sentiEs obligéEs de répondre sur ce terrain.
Didje
Compléments d'info à l'article