Un camp pour étrangers et étrangères... c’est quoi ?

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Un camp pour étrangers et étrangères, c’est un lieu de relégation : il s’agit d’y confiner les populations migrantes qui sont sensées transporter avec elles cette « misère du monde » (dont on nous dit qu’elle serait insupportable pour les pays riches)... Un peu curieusement, ces camps, en même temps qu’ils produisent de l’invisibilité, ont pour vocation de produire des représentations fortes

Un camp pour étrangers et étrangères, c’est un lieu de relégation : il s’agit d’y confiner les populations migrantes qui sont sensées transporter avec elles cette « misère du monde » (dont on nous dit qu’elle serait insupportable pour les pays riches)... Un peu curieusement, ces camps, en même temps qu’ils produisent de l’invisibilité, ont pour vocation de produire des représentations fortes : ils doivent permettre d’envoyer un signal fort et dissuasif d’une part aux migrants et migrantes potentiel-les, mais également en direction des opinions publiques européennes, sur le mode d’une démonstration sécuritaire : « si les étrangers illégaux sont enfermés, c’est sûrement alors qu’ils représentent une menace ».

Depuis ces lieux d’enfermement on trouve ainsi projetée une certaine conception de la « société », pensée comme un grand corps collectif bien réglé mais menacé par des éléments étrangers et/ou non conformes, qui risqueraient de venir dérégler ce bel ensemble... C’est aux Etats que revient la charge de gérer cette menace, en enfermant, en déportant les sans-papiers, parfois en les assassinant (depuis janvier 2003, près d’une dizaine d’étrangers et étrangères ont ainsi été tué-e-s au cours de leurs expulsions par la Police Aux Frontières).

Sur l’agglomération lyonnaise il existe déjà plusieurs types de camps pour étrangers et étrangères. Il y a les zones d’attentes de l’aéroport Lyon Saint Exupéry et de la gare de la Part-Dieu, les locaux de rétention utilisés lors du transfert de sans-papiers devant tels ou tels tribunaux, et les prisons, où des personnes en situation irrégulière peuvent être incarcérées pour défaut de papier, usurpation d’identité, refus d’embarquement, etc. On peut rajouter les bidonvilles, les camps improvisés sur telle ou telle friche à Villeurbanne, Saint Priest, Vaise ou Chassieu... Leur séparation d’avec la ville et la vie « normale » se marque à l’occasion par le détournement des lignes de bus TCL desservant jusque là leur secteur, ou par l’irruption des flics qui vienent manu militari faire évacuer les lieux...

Et puis il y a le Centre de Rétention Administrative Lyon Saint Exupéry. On y trouve des étrangers et étrangères en situation irrégulière ayant écopé d’un arrêté d’expulsion ou d’une interdiction de territoire, et des « double peines ». Le centre a une fonction de stockage, dans la mesure où l’Etat français n’est pas encore parvenu à mettre en place un système d’expulsion à flux tendu : il faut du temps pour obtenir les laissez-passer, épuiser les recours suspensifs, trouver des places sur un avion de ligne ou un charter...

Mais la machine à expulser est devenue encore plus efficace avec l’allongement de la durée de rétention de 12 à 32 jours. Cette extension a entraîné presque mécaniquement une augmentation de la « capacité d’accueil » du CRA Lyon Saint Exupéry : elle a été portée de 52 à 78 places en 2004 grâce aux services d’une filiale du groupe Bouygues (déjà grand constructeur de prisons), et la deuxième phase d’agrandissement, qui implique des travaux en dur et doit permettre de passer à 128 places, est prévue à l’été 2005.

Le passage aux 32 jours de rétention a déterminé surtout un durcissement des conditions d’enfermement : on ne compte plus les « incidents mineurs » (comme les jets de plateau repas) les grèves de la faim sporadiques et les bagarres entre les personnes retenues ou contre les flics qui se multiplient. On a également pu constaté une augmentation nette des tentatives de suicide avant embarquement (par ingestion de solvants, en mettant le feu aux matelas...). A plusieurs reprises des personnes ayant tenté de se suicider ont été menottées et frappées par les policiers, qui les ont mises ensuite en présence de chiens démineurs pour les effrayer...

Etant donné l’isolement du CRA, situé sur une zone aéroportuaire à une dizaine de kilomètres de l’agglomération, on sait peu de choses des multiples formes de résistance menées par les personnes retenues, face en particulier aux violences policières. D’après les informations accessibles dans la presse, les agents de la PAF ne pénètreraient plus dans le centre qu’escortés par les CRS, et la plupart des adjoints de sécurité postés au CRA auraient demandé leur mutation... L’été dernier la tension était telle, la situation tellement ingérable, que des policiers auraient demandé au médecin du centre de distribuer des calmants...

Les centres de rétention, comme l’ensemble des camps pour étrangers et étrangères, constituent un des rouages essentiels des politiques migratoires mises en oeuvre à l’échelle européenne... Mais ces politiques ne se confondent pas avec la machine à expulser : elles ne visent pas à bloquer les flux migratoires mais à gérer, contrôler cette main d’oeuvre légale ou illégale. Les dispositifs d’enfermement ont une fonction d’intimidation, ils permettent d’installer une situation de précarité pour des populations soumises alors à des formes de surexploitation spécifiques. En France, l’exploitation économique de la main d’oeuvre étrangère est gérée et encadrée par un organisme d’état, l’Office des Migrations Internationales (OMI) Cette institution prend en charge la distribution des personnes étrangères en fonction des besoins économiques, au travers de ses fameux « contrats OMI » qui ne garantissent ni permis de séjour, ni regoupement familial, ni l’accès aux droits salariaux élémentaires (chômage, heures supplémentaires...)

Dans le domaine des politiques migratoires, on voit en fait s’expérimenter des dispositifs de contrôle qui doivent s’appliquer de manière tout terrain : les contrats précaires de l’OMI servent ainsi de prototypes pour les cercles de pensée libéraux qui veulent élaborer un « contrat de travail futur », à intercaler entre le RMA et les CDD, et qui concernerait alors l’ensemble des travailleurs et travailleuses ; des pratiques et des matériels d’abord mobilisés au titre du Système d’Information Schengen ont été mises à profit pour développer des formes de fichage plus « génériques » (fichier STIC [1])

Enfin le développement des procédures de rétention ou de détention s’inscrit dans un mouvement plus général de développement de l’univers carcéral, au travers de la mise en place de statuts spéciaux qui viennent décliner l’enfermement sous divers modes, dans l’idée d’adapter à la personnalité de chacun/chacune sa prison spéciale, sans compter tous les gens qui vivent en ville sous l’objectif des caméras, entre deux bips des TCL, surveillés par les contrôleurs, les vigiles de supermarchés... de quoi se croire enfermé-e-s dans nos propres vies.

NI PRISON, NI RETENTION, LIBERTE DE CIRCULATION

Notes

[1Le STIC (Système de Traitement des Infractions Constatées) est une méga-base de données interconnectant les fichiers policiers et répertoriant toute personne ayant été concernée par une procédure judiciaire (crimes, délits et contraventions diverses et variées), qu’elle soit mise en cause ou bien... victime, et quand bien même le mis en examen est blanchi. Cf renseignementsgeneraux.net

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